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M.J. c. Roy, 2024 QCCDTSTCF 24 (CanLII)

Date :
2024-09-09
Numéro de dossier :
37-22-120
Référence :
M.J. c. Roy, 2024 QCCDTSTCF 24 (CanLII), <https://canlii.ca/t/k6z1k>, consulté le 2024-09-30

M.J. c. Roy

2024 QCCDTSTCF 24

 

CONSEIL DE DISCIPLINE

ORDRE DES TRAVAILLEURS SOCIAUX ET DES THÉRAPEUTES
CONJUGAUX ET FAMILIAUX DU QUÉBEC

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No :

37-22-120

 

DATE :

Le 9 septembre 2024.

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me MYRIAM GIROUX-DEL ZOTTO

Présidente

Mme CARMELA DE LISI, T.S.

Membre

Mme CLAIRE SOUCY, T.S.

Membre

______________________________________________________________________

 

Mme M... J...

Plaignante privée

c.

Mme DAPHNÉE ROY, T.S.

Intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL DE DISCIPLINE PRONONCE UNE ORDONNANCE INTERDISANT LA DIVULGATION, LA PUBLICATION ET LA DIFFUSION DU NOM DE LA CLIENTE VISÉE PAR LA PLAINTE ET DE TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT DE L’IDENTIFIER, ET CE, AFIN DE RESPECTER SON DROIT À LA VIE PRIVÉE ET DE PRÉSERVER LE SECRET PROFESSIONNEL.

APERÇU

[1]         Le Conseil de discipline (le Conseil) est saisi de la plainte disciplinaire (la Plainte), laquelle est jointe en annexe, que Mme M... J... (la plaignante), une personne qui n’est pas membre du bureau du syndic de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (l’Ordre), porte contre Mme Daphnée Roy (l’intimée), lui reprochant sous les deux chefs d’avoir fait défaut de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité (article 3.02.01 du Code de déontologie des membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec[1] (le Code de déontologie)) et de faire tout en son pouvoir pour établir et maintenir une relation de confiance entre elle-même et sa cliente (article 3.01.04 du Code de déontologie) alors qu’elle a été appelée à intervenir auprès de cette dernière et d’une proche parente (sa curatrice désignée), à la suite de la demande formulée par l’éducateur spécialisé, du Centre de réadaptation pour les personnes présentant une déficience intellectuelle ou un trouble envahissant du développement du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (le CRDITED), chargé de trouver une ressource d’hébergement intermédiaire pour la cliente.

[2]         La plaignante, qui est une proche parente de la cliente, une personne majeure inapte ayant une déficience intellectuelle moyenne, est également désignée comme curatrice pour cette dernière.

[3]         Elle allègue essentiellement que l’intimée a fait défaut de procéder à une évaluation professionnelle indépendante et complète de la situation de la cliente.

[4]         La plaignante est d’avis que ce faisant, à l’époque des infractions reprochées dans la plainte, l’intimée n’est pas en mesure d’avoir une appréciation objective et juste de la situation de la cliente, ce qui biaise ses interactions avec cette dernière et sa famille ainsi que l’exercice de ses activités professionnelles comme travailleuse sociale.

[5]         À cet égard, plus particulièrement, la plaignante fait valoir que l’intimée s’en tient plutôt à ce que l’éducateur spécialisé du CRDITED, les différents professionnels, intervenants et gestionnaires impliqués dans les services à prodiguer à la cliente lui rapportent et s’attendent d’elle plutôt que d’exercer un jugement indépendant sur la situation de la cliente.

[6]         Elle ajoute que ce faisant, l’intimée fait défaut de satisfaire aux besoins spécifiques de la cliente, lesquels sont adaptés à sa situation particulière permettant d’offrir à elle et à sa famille le soutien psychosocial approprié.

[7]         Lors de l’instruction, l’intimée indique enregistrer un plaidoyer de non-culpabilité sous chacun des deux chefs contenus dans la plainte.

[8]         Elle cite à comparaître sa gestionnaire à l’époque des faits reprochés dans la plainte et témoigne sur les circonstances de la relation établie avec la cliente ainsi que sur les activités professionnelles exercées auprès de cette dernière et de la plaignante.

[9]         En défense, l’intimée plaide avoir toujours agi dans l’intérêt de la cliente et souligne le contexte particulier dans lequel elle est intervenue auprès d’elle, soit à la suite du départ de la travailleuse sociale qui était préalablement assignée à la cliente (l’autre travailleuse sociale) et dans l’objectif d’aider l’éducateur spécialisé du CRDITED à lui trouver une ressource d’hébergement répondant au niveau de priorité « élevé » établi par les intervenants désignés du CRDITED.

[10]      À la lumière des informations qui précèdent, la présente affaire soulève les questions suivantes :

1)   Sous le chef 1, la plaignante démontre-t-elle de façon prépondérante claire et convaincante qu’entre le 25 et le 27 juin 2019, l’intimée a fait défaut de tout faire en son pouvoir pour établir et maintenir une relation de confiance entre elle-même et sa cliente comme l’impose l’article 3.01.04 du Code de déontologie et de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité conformément à l’article 3.02.01 du Code de déontologie?

2)   Sous le chef 2, la plaignante démontre-t-elle de façon prépondérante claire et convaincante qu’entre le 11 avril et le mois de juillet 2019, l’intimée a fait défaut de tout faire en son pouvoir pour établir et maintenir une relation de confiance entre elle-même et sa cliente comme l’impose l’article 3.01.04 du Code de déontologie et de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité conformément à l’article 3.02.01 du Code de déontologie?

[11]      Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil répond par l’affirmative à ces deux questions.

CONTEXTE

[12]      Au cours du mois d’avril 2018, l’intimée devient membre de l’Ordre.

[13]      À l’époque des faits reprochés dans la plainte, elle exerce la profession au CLSC de Verdun au sein de l’équipe DI-TSA qui fait partie du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (le CLSC).

[14]      L’intimée est assignée à la cliente à la suite du départ de l’autre travailleuse sociale avec laquelle la cliente était en relation depuis environ deux ans.

[15]      L’autre travailleuse sociale mentionne ceci, dans sa note de fermeture, comme raison à la fin de sa prestation de services auprès de la cliente : Changement d’emploi de l’intervenante pivot.

[16]      La cliente est une personne majeure âgée de 40 ans ayant une déficience intellectuelle moyenne dont l'inaptitude à prendre soin d'elle-même et à administrer ses biens est totale et permanente.

[17]      La plaignante, qui est une proche parente, est désignée comme curatrice privée de la cliente qui réside avec elle.

[18]      La cliente est la benjamine d’une famille de trois enfants. Elle a une sœur qui habite au Québec et un frère qui vit à Vancouver.

[19]      Grâce au CRDITED, qui offre des services de soutien spécialisés visant à favoriser l'intégration et la participation sociales des personnes ayant une déficience intellectuelle, la cliente a notamment accès à des services d’hébergement et d'intégration sociale.

[20]      Le 26 juin 2017, la plaignante est informée que sa demande pour le projet d’intégration résidentielle de la cliente est acceptée par le CRDITED et qu’un niveau de priorité « modéré » lui a été attribué.

[21]      Le 27 novembre 2018, la plaignante souhaite que sa demande soit mise en priorité « élevée » en raison des problèmes de santé physique qui l’affectent présentement, lesquels diminuent sa capacité à gérer les crises et les comportements agressifs de frustration que la cliente manifeste à l’occasion envers elle lorsqu’elle exerce son autorité parentale et lui impose des limites qu’elle perçoit comme une atteinte à son autonomie.

[22]      Le 6 février 2019, l’autre travailleuse sociale note ce qui suit au sujet de la cliente :

22.1.     Le 4 février 2019, elle apprend que la demande d’hébergement en priorité « élevée » a été acceptée par le CRDITED et qu’en général, un délai de trois mois est respecté pour trouver une ressource;

22.2.     À cette date, elle discute avec l’éducateur spécialisé du CRDITED Christian Roy et une psychoéducatrice du CRDITED Mme Sandrine Leclerc, du rôle de chacun des intervenants dans la recherche d’une ressource d’hébergement pour la cliente soulignant qu’elle s’occupera de donner du soutien à la plaignante en plus d’intervenir auprès de la cliente de concert avec l’éducateur spécialisé;

22.3.     Elle suggère en outre d’aborder les rôles de la plaignante, de la cliente, des intervenants de la ressource d’hébergement, des intervenants du CRDITED et du CLSC.

[23]      Le 9 avril 2019, l’intimée procède à la création d’un dossier professionnel au nom de la cliente et reçoit l’appel de l’éducateur spécialisé du CRDITED chargé de lui trouver une ressource d’hébergement intermédiaire.

[24]      Ce dernier mentionne à l’intimée que le nom de la cliente est sur une liste d’attente en vue d’obtenir la ressource d’hébergement intermédiaire demandée et que le niveau de priorité « élevé » a été attribué à cette demande de services considérant notamment la détérioration de la situation familiale de la cliente engendrée par l’augmentation des conflits entre celle-ci et la plaignante.

[25]      L’éducateur spécialisé du CRDITED l’informe également du fait que la plaignante a déjà refusé les deux propositions de ressources d’hébergement déjà offertes et qu’elle se plaint que la cliente lui vole de l’argent.

[26]      Le 11 avril 2019, l’intimée appelle la plaignante, l’avise qu’elle a parlé avec l’éducateur spécialisé du CRDITED et lui annonce qu’elle se rendra à son domicile avec ce dernier pour les rencontrer (la plaignante et la cliente) à la date et à l’heure qu’elle lui indiquera prochainement.

[27]      Le 13 avril 2019, comme convenu, l’intimée se rend avec l’éducateur spécialisé du CRDITED au domicile de la plaignante afin de faire connaissance avec cette dernière et la cliente. Elle les rencontre pour la première fois.

[28]      L’intimée voit dans un premier temps la plaignante et dans un deuxième temps, la cliente. Pendant ses rencontres individuelles qui se déroulent de façon successive, elle est accompagnée de l’éducateur spécialisé du CRDITED.

[29]      Lors de sa rencontre avec la plaignante, celle-ci manifeste clairement à l’intimée sa volonté de cesser de parler d’hébergement et que la cliente continue de cohabiter avec elle pour l’instant.

[30]      Durant la rencontre avec la cliente, l’intimée l’interroge sur les implications liées au fait d’être hébergée dans une ressource intermédiaire et constate qu’elle comprend très bien ce que ce type de service suppose parce qu’elle a déjà vécu dans une ressource similaire dans le passé.

[31]      Il est alors convenu avec la cliente que l’intimée et l’éducateur spécialisé du CRDITED discuteraient avec la plaignante de son éventuel hébergement et des modalités de la curatelle dont elle bénéficie.

[32]      Le 16 mai 2019, la plaignante verbalise à un intervenant du CRDITED qu’elle se sent seule dans la gestion des difficultés éprouvées avec la cliente.

[33]      Le 17 mai 2019, le travailleur social responsable du suivi qualité au sein du CRDITED, M. Thierry-Olivier Gondo, s’informe de la situation de la cliente auprès de la personne responsable de la ressource de répit occasionnel, Mme Marlène Dessources (la responsable du répit occasionnel), qui a été offerte à la cliente pendant la fin de semaine.

[34]      La responsable du répit occasionnel lui répond que cette dernière se porte bien.

[35]      Le 28 mai 2019, l’intimée a une conversation téléphonique avec l’éducateur spécialisé du CRDITED qui l’informe de sa volonté de trouver une ressource de répit à la cliente afin d’entamer le processus de séparation avec la plaignante et de permettre à cette dernière de se reposer.

[36]      Il ajoute en outre que la cliente se rendra chez son frère pendant deux semaines au mois de juillet, ce qui donnera une pause à la plaignante.

[37]      Le 30 mai 2019, l’intimée rencontre la plaignante au CLSC dans l’objectif de faire un suivi de la situation familiale et de discuter avec elle des ressources de répit disponibles.

[38]      Lors de cette rencontre, la plaignante confirme que la cliente ira chez son frère pendant deux semaines et manifeste le désir d’avoir du répit au cours du mois d’août, puisque la cliente habitera alors à temps plein avec elle.

[39]      Le 14 juin 2019, la plaignante, la cliente et le psychoéducateur désigné du CRDITED, Phillipe LeCouffe, se rendent visiter une troisième ressource d’hébergement intermédiaire, soit la ressource Dorvilier.

[40]      L’intimée est absente lors de cette démarche.

[41]      En se basant sur les observations faites pendant la visite et les informations recueillies à cette occasion, la plaignante annonce qu’elle juge que cette ressource d’hébergement est inadéquate pour la cliente.

[42]      Le 17 juin 2019, le psychoéducateur du CRDITED se rend au domicile de la plaignante afin de discuter de la dernière ressource d’hébergement visitée avec cette dernière et la cliente. La cliente exprime alors le désir d’aller vivre à la ressource Dorvilier.

[43]      La plaignante souligne qu’à titre de curatrice, elle s’y oppose, avance que la situation n’est pas urgente et que la cliente peut demeurer temporairement avec elle.

[44]      Le 19 juin 2019, l’intimée participe à la conférence téléphonique qui a lieu avec plusieurs intervenants du CRDITED, soit le psychoéducateur, l’éducateur spécialisé, la cheffe en en réadaptation, Mme Berardino, et la responsable de la ressource Dorvilier.

[45]      Elle apprend que la visite de la ressource Dorvilier, qui a eu lieu en présence de la plaignante et de la cliente, s’est mal déroulée, puisque la plaignante s’est opposée à ce que la cliente y soit hébergée.

[46]      Également, l’intimée est informée que lors de la rencontre, qui s’est tenue le 17 juin 2019 au domicile de la plaignante, un retour a été fait sur la visite de la ressource Dorvilier et que la cliente a clairement exprimé son désir d’aller vivre à cet endroit.

[47]      Elle note, au surplus, que les intervenants du CRDITED ont décidé de cesser les démarches pour trouver un hébergement à la cliente si la famille refuse la ressource Dorvilier.

[48]      L’intimée retient que la plaignante est informée de cette dernière décision du CRDITED et qu’elle ne la conteste pas étant d’opinion qu’il n’y a pas d’urgence à ce que la cliente soit placée dans une telle ressource d’hébergement.

[49]      À la lumière de ces informations, l’intimée renseigne les intervenants du CRDITED de la possibilité qu’ils auraient de s’adresser au Tribunal advenant une mésentente avec la plaignante concernant l’hébergement de la cliente. Elle annonce qu’elle entamera une recherche sur la procédure légale applicable dans ces circonstances.

[50]      Finalement, l’intimée et les intervenants du CRDITED se mettent d’accord sur la nécessité d’exposer ouvertement à la plaignante qu’en cas de refus de sa part à ce que la cliente soit hébergée à la ressource Dorvilier, des mesures légales seront entreprises.

[51]      Le 21 juin 2019, l’éducateur spécialisé du CRDITED attend la cliente à sa sortie du YMCA afin de discuter avec elle sur le chemin qui mène au métro. Il l’avise qu’elle peut choisir de déménager à la ressource Dorvilier même si sa proche parente la considère inappropriée pour elle.

[52]      L’éducateur spécialisé du CRDITED affirme néanmoins à la cliente qu’à l’égard de l’exercice d’un autre droit civil, il pourrait être difficile pour elle de prendre une décision éclairée, mais qu’en ce qui concerne la ressource Dorvilier, les intervenants du CRDITED estiment qu’elle est apte à le faire.

[53]      Il apprend que la cliente accepterait qu’il discute avec son frère et sa sœur de l’hébergement projeté si ces derniers communiquent avec lui et qu’elle préfère que la plaignante collabore à son projet de déménagement.

[54]      Le 25 juin 2019, l’intimée et sa gestionnaire, Mme Amélie Paul-Hus-Bonin (Mme Paul-Hus-Bonin), rejoignent les intervenants du CRDITED, soit le psychoéducateur, l’éducateur spécialisé, la cheffe en réadaptation, Mme Jessica Berardino, la coordonnatrice clinique, Mme Myriam Joyal, et une autre coordonnatrice, Mme France Leclerc du CRDITED (l’équipe multidisciplinaire), afin de déterminer le plan en vue de rencontrer la plaignante et la cliente, plus tard le même jour.

[55]      L’équipe multidisciplinaire sait qu’une rencontre doit se tenir à 10 h avec la plaignante et la cheffe en réadaptation, Mme Jessica Berardino.

[56]      Au terme de leurs discussions, le plan suivant est établi par l’équipe multidisciplinaire :

         Proposer une période d’essai temporaire de trois mois en attendant une autre ressource et permettre un répit;

         Laisser 24h00 pour prendre la décision;

         Faire valoir les avantages de la ressource;

         Nommer l’objectif de la rencontre : déterminer le projet de vie de la cliente (hébergement);

         Soulever le cadre légal en lien avec le consentement;

         Travailler les comportements de compulsion et de vol de la cliente;

         Rassurer sur la sécurité;

         Déterminer les étapes à venir.

[57]      Par la suite, l’équipe multidisciplinaire convient d’aller chercher la cliente à l’école afin qu’elle participe à la rencontre qu’ils planifient tenir avec la plaignante et qu’elle donne son avis sur la ressource Dorvilier.

[58]      En exécution du plan établi, la rencontre avec la plaignante se déroule dans les locaux du CRDITED en présence de l’équipe multidisciplinaire.

[59]      La plaignante est alors accompagnée d’une personne membre du comité des usagers du CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal.

[60]      L’équipe multidisciplinaire discute avec elle de la ressource Dorvilier et constate qu’elle maintient son refus face à cette option d’hébergement.

[61]      Au soutien de son opposition, elle soulève que les dépanneurs et les restaurants situés à proximité de la ressource Dorvilier seraient problématiques pour la cliente qui, ce faisant, achètera compulsivement de la nourriture avec l’argent dont elle se sera appropriée.

[62]      La plaignante exprime qu’elle préfère que la cliente continue d’habiter avec elle jusqu’à ce que la ressource d’hébergement idéale soit disponible.

[63]      Après avoir entendu son avis, l’équipe multidisciplinaire l’informe que la cliente est déjà dans l’établissement en attente de se joindre à eux et qu’ils souhaitent avoir son point de vue sur la ressource Dorvilier.

[64]      La plaignante conteste cette démarche et menace de déposer une plainte si la cliente prend part à la réunion comme annoncé par l'équipe multidisciplinaire, étant d’avis que celle-ci est inapte à déterminer ce qui est bien ou mal pour elle.

[65]      Elle revendique en outre le droit qu’à l’avenir, elle examine les ressources d’hébergement préalablement à la présentation de celles-ci à la cliente.

[66]      La plaignante quitte ensuite la salle où la réunion avec l’équipe multidisciplinaire a eu lieu.

[67]      En dépit des informations transmises par la plaignante, l’équipe multidisciplinaire décide d’aller de l’avant avec le plan et de rencontrer la cliente en après-midi afin de valider sa compréhension de la situation et d’obtenir son consentement à son hébergement à la ressource Dorvilier.

[68]      L’intimée est absente lors de cette troisième rencontre qui se tient avec le psychoéducateur M. Philippe Lecouffe, la cheffe en réadaptation Mme Jessica Berardino et les deux coordonnatrices du CRDITED Mes Myriam Joyal et France Leclerc (l’équipe du CRDITED).

[69]      À son arrivée dans la salle de réunion, la cliente se met d’emblée à pleurer et affirme vouloir quitter le domicile familial. Elle atteste de l’amour qu’elle porte à la plaignante et du caractère envahissant des conflits qu’elle a avec elle.

[70]      Elle indique vouloir prendre une pause étant consciente de sa difficulté à gérer les émotions qui l’envahissent lorsqu’une mésentente survient avec la plaignante et qui l’amènent parfois à être violente avec elle.

[71]      La cliente confirme qu’elle préfère habiter temporairement dans la ressource Dorvilier en attendant de trouver le bon hébergement plutôt que de rester chez la plaignante.

[72]      Au terme de la rencontre, l’équipe du CRDITED décide que la cliente déménagera à la ressource Dorvilier en revenant de ses vacances, soit après le séjour de deux semaines qu’elle doit passer chez son frère qui habite à Vancouver (prévu du 29 juin au 12 juillet 2019) et d’une semaine au camp (prévu du 14 au 20 juillet 2019).

[73]      L’éducateur spécialisé du CRDITED raccompagne ensuite la cliente en voiture jusqu’à l’école afin que l’éducatrice qui lui est assignée s’assure qu’elle ait un transport adapté pour se rendre à la ressource de la responsable du répit occasionnel, où elle doit passer les deux prochains jours.

[74]      Pendant tout le trajet, l’éducateur spécialisé du CRDITED note que la cliente soupire, qu’elle hyperventile et que son anxiété et sa colère augmentent. Il utilise la technique de diversion pour la calmer et réduire la frustration qui l’envahit.

[75]      Une fois la rencontre terminée, l’intimée contacte la cheffe en réadaptation Mme Jessica Berardino et Mme Dominique Harvey, qui est la directrice adjointe DI-TSA, afin de les informer qu’elle prévoit tenir une rencontre avec la plaignante et la coordonnatrice clinique du CRDITED, Mme Myriam Joyal, dans le but de discuter de l’hébergement de la cliente et des volontés qu’elle a exprimées à cet égard.

[76]      La directrice adjointe DI-TSA au CLSC propose alors à l’intimée de vérifier auprès de la cliente si elle souhaite la réévaluation de son inaptitude et de la désignation de sa représentante légale actuelle.

[77]      Elle mentionne aussi la possibilité que l’une des membres composant l’équipe multidisciplinaire accompagne la cliente dans le cadre d’une démarche éventuelle visant à impliquer le curateur public.

[78]      Le 26 juin 2019, l’intimée rencontre la plaignante au CLSC. Elle est accompagnée de la coordonnatrice clinique du CRDITED, Mme Myriam Joyal.

[79]      Ces dernières annoncent à la plaignante qu’une procédure légale sera entamée en lien avec l’hébergement de la cliente et lui expliquent en quoi consiste son rôle comme curatrice.

[80]      Lors de cette rencontre, la plaignante conteste toujours l’idée que la cliente réside temporairement à la ressource Dorvilier en l’absence d’urgence à lui trouver un hébergement.

[81]      Elle mentionne que la recherche d’une telle ressource peut attendre jusqu’au mois de septembre ou octobre étant donné la diminution des crises de la cliente qui sont aussi moins violentes.

[82]      La plaignante souligne en outre que la cliente est inapte à consentir à ses soins et que les épisodes d’agressivité étaient plus problématiques lors de son premier hébergement dans une ressource intermédiaire.

[83]      L’intimée et la coordonnatrice clinique du CRDITED invitent la plaignante à s’informer auprès du curateur public des droits qu’elle peut exercer comme curatrice et à consulter son conseil de tutelle.

[84]      Le 27 juin 2019, sachant que la cliente revient auprès de la plaignante, l’intimée appelle au domicile familial afin de vérifier si le climat n’est pas tendu entre la cliente et la plaignante et de s’assurer que cette dernière ait l’information utile lui permettant d’avoir recours à l’aide offerte par la ressource urgence psychosociale justice (UPS-J), le cas échéant.

[85]      La plaignante lui répond que tout va bien et qu’elle a déjà les coordonnées de UPS-J.

[86]      L’intimée note que la plaignante s’oppose à ce que la cliente prenne le téléphone lorsqu’elle demande à lui parler pour savoir comment elle se porte.

[87]      Le 16 juillet 2019, le psychoéducateur, M. Philippe Lecouffe, et l’éducateur spécialisé, M. Christian Roy, du CRDITED rencontrent l’éducatrice spécialisée, la personne responsable et l’intervenant suivi qualité de la ressource Dorvilier afin de planifier l’intégration de la cliente à cette ressource.

[88]      Le 24 juillet 2019, l’intimée appelle au domicile de la plaignante et en son absence, laisse un message dans la boîte vocale en invitant la cliente à communiquer avec elle.

[89]      Le 25 juillet 2019, la cliente appelle l’intimée et indique qu’elle désire interrompre les démarches en vue de lui dénicher une ressource d’hébergement et mettre fin à leur relation après l’avoir informée qu’elle a passé de belles vacances et un bel été avec sa proche parente.

[90]      L’intimée propose de fixer un rendez-vous avec la cliente, mais cette dernière refuse et raccroche.

[91]      Le 11 septembre 2019, la plaignante communique avec l’intimée pour vérifier si la cliente bénéficie toujours des services du CLSC soulignant qu’elle souhaite par ailleurs mettre un terme à ceux offerts par le CRDITED.

[92]      La plaignante informe l’intimée de sa volonté de garder la cliente avec elle à court terme et de lui trouver un hébergement à moyen terme.

[93]      Le 27 septembre 2019, l’intimée apprend que la cliente aurait été traumatisée par la réunion du 25 juin 2019.

[94]      Le 2 octobre 2019, la plaignante dépose une plainte auprès du Protecteur du citoyen en raison de la pression indue exercée sur la cliente par les intervenants du CRDITED et par l’intimée pour que cette dernière formule un consentement à être hébergée à la ressource Dorvilier, et ce, en dépit du refus qu’elle a opposé comme curatrice désignée à la cliente.

[95]      Le 10 décembre 2019, la plaignante appelle l’intimée et indique avoir reçu du curateur public le formulaire de réévaluation pour le renouvellement du régime de protection de la cliente.

[96]      L’intimée indique alors à la plaignante qu’elle procéderait à l’évaluation psychosociale requise dans le cadre de ce renouvellement.

[97]      Le 13 décembre 2019, le médecin traitant de la cliente conclut que la situation de cette dernière est inchangée et recommande le maintien du régime de protection actuel.

[98]      Le 16 décembre 2019, la plaignante annonce à l’intimée sa volonté de lui transmettre la réévaluation réalisée par le médecin de la cliente.

[99]      Le 20 décembre 2019, la plaignante fait un suivi auprès de l’intimée qui l’informe avoir reçu la réévaluation du médecin traitant de la cliente et avoir noté que ce dernier souhaite le maintien de la tutelle alors que celle-ci bénéficie plutôt d’une curatelle.

[100]   La plaignante indique qu’elle obtiendra la rectification requise de la part du médecin traitant de la cliente.

[101]   Elle indique en outre être d’accord à ce que l’intimée voie la cliente et qu’elle communique avec son médecin traitant et la personne désignée au curateur public comme responsable du renouvellement de son régime de protection.

[102]   Le 30 décembre 2019, l’intimée appelle le médecin traitant de la cliente. Ce dernier atteste de sa recommandation de maintenir la curatelle actuelle soulignant avoir rencontré la cliente à deux occasions dans le cadre de sa démarche d’évaluation.

[103]   De son côté, l’intimée lui fait part qu’elle envisage de recommander la modification du régime de protection actuel.

[104]   Le 9 janvier 2020, l’intimée laisse un message sur la boîte vocale de la plaignante l’avisant qu’elle doit rencontrer la cliente afin de compléter son évaluation psychosociale.

[105]   Le 13 janvier 2020, la plaignante rappelle l’intimée et en son absence, l’informe sur sa boîte vocale, que la cliente a fortement réagi lorsqu’elle a entendu son dernier message.

[106]   Elle lui fait également part de sa volonté que l’intimée ne procède plus à l’évaluation psychosociale.

[107]   La plaignante se dit craindre qu’elle ne soit pas en mesure de faire preuve d’impartialité dans le cadre de la réévaluation du régime de protection de la cliente et demande que les documents transmis lui soient renvoyés.

[108]   Le 16 janvier 2020, l’intimée formule l’avis suivant dans le cadre de la réévaluation du régime de protection de la cliente :

La situation de la personne quant à son degré d’inaptitude ou son besoin d’assistance ou de représentation a suffisamment changé pour justifier la modification du régime de protection actuel. À cet effet, je transmets mon rapport de réévaluation au tribunal recommandant la diminution du degré de protection.

[109]   Elle souligne notamment le fait qu’elle n’a consulté aucun proche de la cliente dans le cadre de son évaluation puisque « la fratrie habite loin et est peu présente auprès d’[elle] », les comportements compulsifs qui peuvent la mettre à risque de préjudices et les montants d’argent importants qu’elle vole à sa proche parente pour s’acheter de la nourriture.

[110]   En outre, l’intimée indique que les conclusions des évaluateurs (son évaluation et celle du médecin de la cliente) sur le degré d’inaptitude sont non-concordantes, et qu’après discussion, ils maintiennent leurs conclusions professionnelles distinctes.

[111]   En regard des recommandations de l'évaluateur sur la mesure de protection actuelle, l'intimée déclare à la rubrique intitulée « mandat de protection » que la cliente est redevenue apte et demande la cessation des effets du mandat de protection.

[112]   Elle recommande par ailleurs que la cliente « soit représentée par le curateur public considérant la mauvaise gestion de [la plaignante] et le fait qu’aucun autre proche ne soit impliqué suffisamment auprès d’[elle] ».

[113]   Le 24 janvier 2020, l’intimée modifie son avis et recommande finalement le maintien du régime de protection actuel.

[114]   Le 3 février 2020, Mme Rita Stamino, la cheffe de service au CLSC, apprend à la plaignante qu’une autre travailleuse sociale procédera à l’évaluation psychosociale requise dans le cadre de la réévaluation du régime de protection de la cliente.

[115]   Plus tard le même jour, elle revient sur sa décision et avise la plaignante que l’intimée demeurerait responsable de l’évaluation psychosociale comme le recommande le curateur public.

[116]   La plaignante manifeste son mécontentement face à cette décision.

[117]   Le 18 février 2020, après avoir pris connaissance du rapport d’évaluation psychosocial rédigé par l’intimée, la plaignante écrit à l’agente d’aide à la représentation privée du curateur public afin de rectifier certains faits qui y sont mentionnés les estimant non conformes à la réalité.

[118]   Le 13 mai 2020, au terme de son examen, le délégué désigné du Protecteur du citoyen formule notamment les recommandations suivantes au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l'île-de-Montréal (mission CRDITED) :

La réévaluation de l’aptitude de la cliente à consentir à ses soins, et ce, dans le respect des bonnes pratiques en la matière;

L’élaboration et l’adoption d’une procédure de consentement aux soins, précisant notamment les modalités d’évaluation de l’aptitude au consentement des usagers souffrant d’une déficience intellectuelle ou d’un trouble du spectre de l’autisme, de même que de bonnes pratiques de communication avec leurs proches ou leur représentant légal à propos de cette obligation.

[119]   Le 9 septembre 2020, la plaignante demande au Bureau du syndic de l’Ordre qu’une enquête soit menée sur la conduite professionnelle de l’intimée.

[120]   À l’issue de son enquête, M. Charles Aimé Courcelles (le syndic adjoint Courcelles), syndic adjoint au bureau du syndic de l’Ordre, décide qu’il n’y a pas lieu de porter plainte devant le conseil de discipline.

[121]   À la suite de la réception de la décision du syndic adjoint Courcelles, la plaignante sollicite l’avis du comité de révision concernant cette décision.

[122]   Le 15 septembre 2021, le comité de révision suggère au syndic adjoint Courcelles de compléter son enquête et de rendre une nouvelle décision sur l’opportunité de porter plainte devant le conseil de discipline.

[123]   Le 29 octobre 2021, l’intimée est informée de la décision suivante prise par le syndic adjoint Courcelles :

Pour donner suite à cet avis du comité de révision, nous avons conduit des vérifications additionnelles quant à cette question : déterminer si, dans vos fonctions de travailleuse sociale, vous vous abstenue d’exercer contrairement aux normes généralement reconnues dans le cadre d’une réévaluation psychosociale d’un régime de protection d’une personne majeure inapte (Code de déontologie, article 3.01.07).

Au terme de notre complément d’enquête, nous considérons toujours qu’il n’y a pas lieu de déposer une plainte devant le conseil de discipline de notre ordre professionnel.

Ce dossier d’enquête est désormais clos à notre bureau.

[Transcription textuelle]

[124]   Le 28 avril 2022, la plaignante décide qu’il y a quand même lieu de porter contre l’intimée, une plainte devant le conseil de discipline.

ANALYSE

A)   Les principes de droit applicables en matière de culpabilité disciplinaire

[125]   Le 6 novembre 2006, la Cour d’appel du Québec (la Cour d’appel), dans l’arrêt Tremblay c. Dionne[2], s’exprime ainsi au sujet de la faute disciplinaire :

[42]   […] En droit disciplinaire, « la faute s'analyse comme la violation de principes de moralité et d'éthique propres à un milieu et issus de l'usage et des traditions » (Yves OUELLETTE, « L'imprécision des codes de déontologie professionnelle », (1977) 37 R. du B. 669, p. 670). Ensuite, les lois d'organisation des ordres professionnels sont des lois d'ordre public, politique et moral ou de direction qui doivent s'interpréter en faisant primer les intérêts du public sur les intérêts privés (Pauzé c. Gauvin, 1953 CanLII 65 (SCC), [1954] R.C.S. 15; Fortin c. Chrétien, 2001 CSC 45 (CanLII), [2001] 2 R.C.S. 500, paragr. 8 et 21; Coté c. Rancourt, 2004 CSC 58 (CanLII), [2004] 3 R.C.S. 248, paragr. 10; J.‑L. BAUDOUIN, P.-G. JOBIN et N. VÉZINA, Les obligations, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2005, p. 211 et suiv., no 144). Ainsi, pour analyser le comportement de l'intimé sur le plan déontologique, il faut se reporter non seulement à la Loi sur les ingénieurs précitée, mais aussi aux normes contenues au CDI adopté conformément à l'article 87 du Code des professions. Ces normes s'inscrivent dans l'objectif de protection du public prévue à l'article 23 de ce Code et visent à « maintenir un standard professionnel de haute qualité » à son endroit (Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins, 1995 CanLII 5215 (QC CA), [1995] R.D.J. 301 (C.A.)). Conformément à cet objectif, ces textes législatifs et réglementaires ont préséance sur les termes d'un contrat ou d'une règle ou pratique administrative et doivent recevoir une application large (Loi d'interprétation, L.R.Q., c. I‑16, art. 41). Les normes déontologiques ne visent pas à protéger l'ingénieur, mais bien le public.

[43]   À mon avis, le fondement de la responsabilité disciplinaire du professionnel réside dans les actes posés à ce titre tels qu'ils peuvent être perçus par le public. Les obligations déontologiques d'un ingénieur doivent donc s'apprécier in concreto et ne sauraient se limiter à la sphère contractuelle; elles la précèdent et la transcendent. Sinon, ce serait anéantir sa responsabilité déontologique pour tous les actes qu'il pose en dehors de son mandat, mais dans l'exécution de ses activités professionnelles et, de ce fait, circonscrire de façon indue la portée d'une loi d'ordre public qui vise la protection du public.

[44]   La faute disciplinaire professionnelle est liée à l'exercice de la profession […]

[126]   Le 22 janvier 2016, cette même Cour, dans Mailloux c. Fortin[3], énonce qu’il est bien acquis en droit disciplinaire que la charge de la preuve repose sur les épaules du syndic de l’ordre professionnel. Elle rappelle également que le degré de preuve à satisfaire est celui de la prépondérance des probabilités et non celui de la preuve hors de tout doute raisonnable.

[127]   Le 21 juin 2016, la Cour d’appel, dans Bisson c. Lapointe[4], apporte la précision suivante relativement au fardeau de la preuve en matière disciplinaire :

[67]   Cependant, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Comme démontré plus haut, le Conseil avait bien à l’esprit cette norme et la proposition des juges majoritaires qui soutient le contraire est, avec égards, injustifiée.

[68]   Comme le rappelle la Cour suprême, « [a]ussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était, à ses yeux, suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités ».

[Référence omise; soulignements ajoutés]

[128]   Mentionnons que l’article 128 alinéa 2 C. prof. permet à toute autre personne que le syndic de l’Ordre de porter contre un professionnel toute plainte. Il est néanmoins acquis que la personne qui se prévaut d’un tel droit est soumise aux mêmes règles que le syndic.

[129]   Dit autrement, le statut de plaignant privé ne décharge pas ce dernier de son obligation de respecter le droit et les exigences explicites de la loi.

[130]   En effet, comme le rappelle à juste titre le Tribunal des professions, notamment dans l’affaire Brazeau c. Faribeault[5], qu'un professionnel soit visé par une plainte portée par le syndic ou un plaignant privé, la gravité et les conséquences découlant de l’instruction de cette plainte sont les mêmes pour lui.

[131]   Nous répondrons donc aux deux questions, que soulève la présente affaire, à la lumière de l’ensemble des principes exposés précédemment.

B)   Application des principes de droit aux faits du présent dossier

[132]   D’entrée de jeu, soulignons que lors de l’instruction, la plaignante confirme que les infractions reprochées à l’intimée sous chacun des deux chefs à l’étude se fondent sur les articles 3.01.04 et 3.02.01 du Code de déontologie ainsi libellés s’agissant des dispositions de rattachement invoquées dans le paragraphe introductif de la plainte :

3.01.04. Le travailleur social fait tout en son pouvoir pour établir et maintenir une relation de confiance entre lui-même et son client. À cette fin, notamment, le travailleur social:

a)  s’abstient d’exercer sa profession d’une manière impersonnelle;

b)  respecte, dans toutes ses interventions, les valeurs et les convictions de son client.

3.02.01. Le travailleur social s’acquitte de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité.

[133]   Elle précise en outre que les rubriques intitulées « Plainte #1 » et « Plainte #2 » constituent les chefs 1 et 2 de la plainte, et que les faits mentionnés sous chacun d’eux indiquent la nature et les circonstances de temps et de lieu des infractions reprochées à l’intimée.

[134]   Ces clarifications étant apportées, préalablement à l’examen attentif de la preuve, concernant la relation de confiance, mentionnons d’abord que la confiance est définie ainsi dans le dictionnaire Larousse :

Sentiment de quelqu'un qui se fie entièrement à quelqu'un d'autre, à quelque chose[6].

[135]   Ensuite, dans ce même dictionnaire, il est précisé que le sentiment de confiance qu’inspire une personne est synonyme du crédit qu’on lui accorde.

[136]   Relativement à l’obligation qui incombe aux travailleurs sociaux de faire preuve d’objectivité, soulignons que toujours selon le dictionnaire Larousse[7], l’objectivité signifie :

Qualité de quelqu'un, d'un esprit, d'un groupe qui porte un jugement sans faire intervenir des préférences personnelles.

Qualité de ce qui est conforme à la réalité, d'un jugement qui décrit les faits avec exactitude.

[137]   Également, suivant ce même dictionnaire, le fait de faire preuve d’objectivité est synonyme d’agir avec impartialité.

[138]   Le Conseil est d’avis que les définitions et les synonymes exposés précédemment sont utiles à l’appréciation de la prestation des services professionnels que l’intimée a fournis à la cliente.

[139]   Il y a donc lieu de déterminer si en gardant ces informations à l’esprit, la preuve administrée dans le présent dossier soutient un verdict de culpabilité ou d’acquittement de l’intimée sous l’angle des deux chefs d’infraction de la plainte à l’étude.

1)   Sous le chef 1, la plaignante démontre-t-elle de façon prépondérante claire et convaincante qu’entre le 25 et le 27 juin 2019, l’intimée a fait défaut de tout faire en son pouvoir pour établir et maintenir une relation de confiance entre elle-même et sa cliente comme l’impose l’article 3.01.04 du Code de déontologie et de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité conformément à l’article 3.02.01 du Code de déontologie?

[140]   En ce qui a trait au chef 1, la preuve révèle que le 25 juin 2019 est la date à laquelle surviennent quatre rencontres successives, soit la première, qui a lieu en personne au CRDITED et implique l’équipe multidisciplinaire; la seconde, qui a lieu en personne au CRDITED et implique l’équipe multidisciplinaire et la plaignante; la troisième, qui se tient sans l’intimée et sa gestionnaire, Mme Paul-Hus-Bonin, a lieu en personne au CRDITED et implique l’équipe multidisciplinaire et la quatrième, qui découle de la conférence téléphonique que l’intimée initie à partir du CLSC impliquant la cheffe en réadaptation, Mme Jessica Berardino et la directrice adjointe DI-TSA au CLSC, Mme Dominique Harvey.

[141]   En ce qui concerne le 26 juin 2019, il s’agit de la date de la rencontre en personne qui se tient au CLSC avec l’intimée, la plaignante et la coordonnatrice clinique du CRDITED, Mme Myriam Joyal.

[142]   Finalement, le 27 juin 2019 concerne l’appel téléphonique que l’intimée a fait au domicile de la plaignante afin d’évaluer le climat familial à la suite du retour de la cliente à l’échéance de son hébergement à la ressource de répit occasionnel (soit du 25 au 27 juin 2019).

[143]   Dans un souci de clarté, nous analyserons plus amplement la conduite de l’intimée à chacune de ces trois dates pour déterminer si la plaignante rencontre son fardeau de preuve.

[144]   Toutefois, préalablement à cet exercice, comme le consentement aux soins de la cliente est un aspect qui est au cœur des interventions réalisées auprès d’elle et/ou de la plaignante les 25, 26 et 27 juin 2019, il y a lieu de s’attarder plus attentivement à cet aspect.

Le consentement aux soins de la cliente

[145]   La plaignante plaide que la cliente est inapte à consentir à ses soins du fait qu’elle est une personne sous curatelle.

[146]   Au soutien de sa prétention, elle invoque en outre la vulnérabilité de cette dernière et donne des exemples concrets de situations d’abus ou dangereuses dans lesquelles elle s’est retrouvée sans qu’elle en ait conscience.

[147]   La plaignante relate que la survenance de ces événements malencontreux l’a convaincue de l’importance et de la nécessité, dans son rôle de curatrice désignée, d’avoir un souci constant de veiller à la protéger en prenant les moyens appropriés pour assurer sa sécurité.

[148]   Fournir un encadrement suffisant à la cliente et un environnement adapté à sa situation particulière se sont avérés des moyens efficaces pour la protéger lorsqu’elle réalise les diverses activités de la vie quotidienne de façon plus autonome.

[149]   De son côté, spécifiquement invitée à se prononcer sur cet aspect, l’intimée fournit très peu d’explications sur les éléments l’ayant guidée lorsqu’elle a été appelée à évaluer l’aptitude de la cliente à consentir à un soin, qui, faut-il le rappeler, est une personne majeure ayant une déficience intellectuelle moyenne qui bénéficie d’un régime de protection de type curatelle.

[150]   Elle est également silencieuse sur ce que comprend la notion de soins.

[151]   Il y a donc lieu d’examiner le droit applicable en ces matières.

[152]   Mentionnons d’abord que les dispositions suivantes du Code civil du Québec[8] consacrent le principe de l’inviolabilité de la personne et de son droit à l’intégrité :

10. Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité.

Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé.

11. Nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins, quelle qu’en soit la nature, qu’il s’agisse d’examens, de prélèvements, de traitements ou de toute autre intervention. Sauf disposition contraire de la loi, le consentement n’est assujetti à aucune forme particulière et peut être révoqué à tout moment, même verbalement.

Si l’intéressé est inapte à donner ou à refuser son consentement à des soins et qu’il n’a pas rédigé de directives médicales anticipées en application de la Loi concernant les soins de fin de vie (chapitre S-32.0001) et par lesquelles il exprime un tel consentement ou un tel refus, une personne autorisée par la loi ou par un mandat de protection peut le remplacer.

[153]   Relativement au mot « soins » invoqué à l’article 11 C.c.Q., la Cour d’appel, dans l’arrêt B.(M.) c. Centre hospitalier Pierre-Le Gardeur[9], confirme qu’il a un sens générique et inclut l’hébergement.

[154]   En outre, cette même Cour a décidé, dans l’arrêt Institut Philippe Pinel de Montréal[10], que la désignation d'un curateur ne rend pas une personne systématiquement inapte à consentir à des soins.

a) l'aptitude à consentir à des soins médicaux donnés est soumise à une évaluation particulière qui, si la personne concernée est sous le coup d'un régime de protection, peut s'avérer différente de l'évaluation dont a fait l'objet la raison pour laquelle un tel régime lui a été ouvert; cela ressort spécialement de l'article 19.2 C.c.B.-C., maintenant l'article 15 C.c.Q.; si le législateur n'avait pas voulu soumettre l'aptitude à consentir à des soins médicaux à une appréciation différente de celle pour laquelle un mandataire, un tuteur ou un curateur a été désigné, il lui aurait tout simplement suffi de dire, au début de l'article, "dans le cas d'un régime de protection ou d'un mandat en prévision d'inaptitude, le consentement est donné par le mandataire, le tuteur ou le curateur"; et

b) même après que l'inaptitude de la personne majeure à consentir à des soins médicaux requis par son état de santé a été constatée et que le consentement substitué a été obtenu, l'autorisation du tribunal est de plus requise si la personne inapte refuse catégoriquement de recevoir les soins; c'est ce qu'énonçait la dernière partie de l'article 19.4 C.c.B.-C., maintenant la dernière partie du premier alinéa de l'article 16 C.c.Q.; dans ce cas, il appartiendra à la personne justifiant un intérêt suffisant de convaincre le tribunal du bien-fondé de la constatation d'inaptitude et de la nécessité des soins suggérés.

[…]

Dans l'affaire Blais précitée, Institut Philippe Pinel de Montréal, alors requérant sur une demande basée sur la dernière partie de l'article 19.4 C.c.B.-C., avait proposé (p. 1974) le test en cinq volets prévu par l'article 52(2) du Hospitals Act de la Nouvelle-Écosse:

In determining whether or not a person is capable of consenting to treatment the examining psychiatrist shall consider whether or not the person being examined

a) understands the condition for which the treatment is proposed;

b) understands the nature and purpose of the treatment;

c) understands the risks involved in undergoing the treatment;

d) understands the risks involved in not undergoing the treatment; and

e) whether or not his ability to consent is affected by his condition.

[Référence omise]

[155]   La Cour d’appel, dans l’arrêt M.C. c. Service professionnel du Centre de santé et de services sociaux d’Arthabaska-et-de-l’Érable[11] qui se fonde sur ce principe, énonce les critères permettant au juge de déterminer l’aptitude d’une personne à consentir aux soins :

[11]  L'ouverture d'un régime de protection n'entraîne donc pas systématiquement une conclusion que la personne protégée est inapte à consentir à des soins.  Cette inaptitude doit encore être « constatée ».  Ainsi, « le simple fait qu'une personne ait un régime de protection ne crée pas une présomption d'inaptitude à consentir à des soins médicaux ».

[12]  Le juge évalue, en principe, l'aptitude à consentir aux soins en répondant aux interrogations suivantes :  La personne comprend-elle la nature de la maladie pour laquelle un traitement lui est proposé ?  Comprend-elle la nature et le but du traitement ?  Saisit-elle les risques et les avantages du traitement envisagé ?  Comprend-elle les risques de ne pas subir le traitement ?  Enfin, sa capacité de comprendre est-elle affectée par sa maladie?

[13]  Ces critères, non cumulatifs, doivent faire l'objet d'une analyse globale.

[Références omises]

[156]   Le Conseil, formé de deux pairs, constate que les paramètres énoncés par la Cour d’appel, dans les arrêts précités, sont également ceux appliqués par les membres de l’Ordre.

[157]   Concernant les critères établis dans l’arrêt M.C. c. Service professionnel du Centre de santé et de services sociaux d’Arthabaska-et-de-l’Érable plus particulièrement, ils correspondent à ce que les travailleurs sociaux appellent plus communément « les critères de la Nouvelle-Écosse ».

[158]   Ainsi, dans le cadre de l’exercice de la profession auprès d’une personne majeure assujettie à un régime de protection légale, la travailleuse sociale a l’obligation de procéder à une analyse soignée et rigoureuse « des critères de la Nouvelle-Écosse » afin de déterminer si la personne est apte à consentir à des soins.

[159]   En d’autres mots, les membres de l’Ordre doivent se rappeler que l'aptitude à consentir à des soins est soumise à une évaluation particulière qui diffère de celle pour laquelle un représentant légal (comme curateur ou tuteur) a été désigné.

[160]   Partant de cette prémisse, revenons à la preuve.

Le 25 juin 2019

[161]   Ce qui frappe, en lisant attentivement les notes que l’intimée a consignées au dossier de la cliente en lien avec les rencontres qui ont eu lieu à cette date, se résume aux éléments suivants :

161.1.      Lors de la première rencontre, l’intimée entérine le plan établi par l’équipe multidisciplinaire alors qu’elle sait que la plaignante, la curatrice désignée de la cliente, s’oppose catégoriquement à ce que cette dernière soit hébergée à la ressource Dorvilier. Elle est en outre informée que la plaignante et la cliente ignorent qu’elles seront toutes deux rencontrées par l’équipe multidisciplinaire durant la journée;

161.2.      Lors de la seconde rencontre, elle fait partie de l’équipe multidisciplinaire qui annonce à la plaignante que la cliente attend dans une autre salle de l’établissement du CRDITED afin d’exposer son point de vue sur la ressource d’hébergement Dorvilier sachant que la plaignante la considère inapte à consentir à ce soin;

161.3.      Lors de la troisième rencontre, l’intimée et sa gestionnaire, Mme Paul-Hus-Bonin, sont absentes. Elles ne peuvent donc témoigner sur la manière dont le reste de l’équipe multidisciplinaire obtient le consentement de la cliente ni comment cette dernière se comporte et le formule. Néanmoins, l’intimée fait état dans le dossier de la cliente, du déroulement de la rencontre et note qu’il a été convenu par le reste de l’équipe multidisciplinaire, que la cliente déménagerait à la ressource Dorvilier et y résiderait temporairement au retour du séjour passé chez son frère qui réside à Vancouver et au camp de vacances qu’elle fréquentera du 14 au 20 juillet 2019;

161.4.      Lors de la quatrième rencontre, l’intimée annonce à la cheffe en réadaptation Mme Jessica Berardino et à la directrice adjointe DI-TSA au CLSC, Mme Dominique Harvey, qu’elle a fixé un rendez-vous avec la plaignante le lendemain pour discuter de l’hébergement de la cliente et des volontés exprimées par cette dernière alors qu’elle était absente à la rencontre réalisée à cette fin. Elle note, sans faire état de son impression clinique, que la directrice adjointe DI-TSA au CLSC conseille de vérifier auprès de la cliente si elle souhaite la réévaluation de son degré d’inaptitude et de sa curatrice actuelle.

[162]   Cette mise en contexte sommaire étant faite, rappelons que tant sous le chef 1 que sous le chef 2, la plaignante se plaint de l’absence d’évaluation réalisée par l’intimée et ce faisant, de connaissances suffisantes lui permettant d’apprécier la situation particulière de la cliente.

[163]   Qu’en est-il?

[164]   Il appert de la preuve que préalablement à la rencontre du 25 juin 2019, l’intimée a accès aux notes professionnelles de l’autre travailleuse sociale qu’elle remplace, aux données que lui fournissent l’éducateur spécialisé et le psychoéducateur du CRDITED ainsi qu’aux informations recueillies lors de sa conversation téléphonique du 11 avril 2019 avec la plaignante et lors de la rencontre en personne qu’elle a le 13 mai 2019 au domicile de la plaignante, avec cette dernière, la cliente et ce même éducateur spécialisé.

[165]   Force est de constater que la preuve présentée par la plaignante permet de retenir que l’intimée n’a effectué aucune évaluation de la situation de la cliente préalablement au 25 juin 2019.

[166]   Or, conformément à l’article 3.01.05 du Code de déontologie, elle a l’obligation de formuler une évaluation de la situation de la cliente et d’intervenir à son égard que si elle possède les données suffisantes pour porter un jugement éclairé sur la situation et pour agir avec un minimum d’efficacité dans l’intérêt de la cliente.

[167]   En défense, l’intimée rappelle qu’elle a remplacé l’autre travailleuse sociale à la suite du changement d’emploi de cette dernière. Elle souligne également que le processus en vue de trouver une ressource d’hébergement à la cliente est avancé, les deux premières propositions d’hébergement ayant été refusées par la plaignante.

[168]   Bien qu’on soit sensible aux difficultés que représente le fait d’établir une relation professionnelle dans de telles circonstances, elles ne constituent pas une justification valable pour faire exception au respect de l’obligation prévue à l’article 3.01.05 du Code de déontologie qui s’impose aux membres de l’Ordre.

[169]   De l’avis du Conseil, il s’agit d’une obligation importante en ce qu’elle permet notamment à la travailleuse sociale de s’assurer de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec objectivité et d’agir dans l’intérêt de la cliente.

[170]   Ces deux conditions sont essentielles à l’établissement et au maintien d’une relation de confiance entre elle-même et sa cliente.

[171]   En somme, le non-respect de l’article 3.01.05 du Code de déontologie risque de compromettre l’indépendance dont l’intimée est tenue de faire preuve dans l’exercice de sa profession, de biaiser son appréciation de la situation de la cliente et ce faisant, son jugement professionnel et les actions qu’elle pose auprès de celle-ci.

[172]   Il en est ainsi parce qu’alors, la travailleuse sociale n’est pas en mesure de s’assurer d’avoir une évaluation qui est conforme à la réalité ni d’exprimer un jugement qui décrit les faits avec exactitude.

[173]   Lors de l’instruction, la plaignante argue que l’intimée se fie sur les informations que lui rapportent les intervenants du CRDITED et laisse entendre qu’elle confond son rôle comme travailleuse sociale du CLSC avec la mission dont le CRDITED s’est donné à l’égard de la cliente.

[174]   Le Conseil doit donner raison à la plaignante, en l’absence de preuve démontrant que l’intimée prend les moyens pour clarifier son rôle auprès des intervenants du CRDITED ainsi qu’auprès de la cliente et de la plaignante, on ne peut retenir qu’elle s’assure d’exercer dans des conditions qui ne sont pas susceptibles de compromettre la qualité et le caractère objectif de ses services.

[175]   Le Conseil constate d’ailleurs que c’est précisément ce que fait l’autre travailleuse sociale que l’intimée remplace.

[176]   À ce propos, il est utile de s’attarder à ce qu’elle écrit dans le dossier de la cliente à la suite de la rencontre réalisée le 4 février 2019 avec l’éducateur spécialisé et la psychoéducatrice du CRDITED, Mme Sandrine Leclerc :

Ils nous annoncent que la demande de priorisation pour l’hébergement a été accepté. Nous ne savons toutefois pas encore combien de temps cela prendra. En général, un délai de 3 mois est respecté. Une fois qu’un milieu est trouvé, la famille peut aller visiter puis si cela convient, une intégration graduelle est possible. Discutons du rôle de chacun des intervenants en lien avec ce changement. [La psychoéducatrice du CRDITED] assurera le soutien de [la plaignante] et nous ainsi que [l’éducateur spécialisé du CRDITED] effectuerons un processus auprès de [la cliente]. […]

Il est aussi suggéré d’aborder les rôles de chacun : [proche parente], [cliente], intervenant (e) de la ressource, intervenant (e) du CRDITED et intervenante du CLSC. […]

[Transcription textuelle, sauf anonymisation; Soulignements ajoutés]

[177]   Sur l’aptitude de la cliente à consentir aux soins, soit le sujet d’intérêt qui entoure les rencontres du 25 juin 2019, avec égards, la plaignante commet une erreur de droit en inférant du jugement de curatelle, l'inaptitude de la cliente à consentir aux soins[12].

[178]   Cela étant dit, dans le respect du droit applicable en cette matière, l’intimée avait l’obligation de procéder à une évaluation exhaustive particulière permettant de déterminer si la cliente était apte ou non à consentir à ses soins.

[179]   Que nous révèle la preuve à cet égard?

[180]   Dans un premier temps, mentionnons que l’intimée note ce qui suit dans le dossier à la suite de sa rencontre en personne avec la cliente réalisée le 13 mai 2019 :

Questionnons [la cliente] sur ce que ça implique d’être en ressource intermédiaire. [La cliente] comprend très bien, car elle a déjà vécue dans ce type de ressource par le passé.

[Transcription textuelle, sauf anonymisation]

[181]   On ne peut néanmoins ignorer le fait que le 13 mai 2019, c’est la première fois qu’elle voit la cliente. Elle ne lui a jamais parlé auparavant.

[182]   Devant le Conseil, l’intimée précise que la rencontre dure environ 30 minutes.

[183]   Outre le temps relativement court que l’intimée passe avec la cliente pour faire sa connaissance, pour le Conseil, le fait que cette dernière ait déjà bénéficié d’une ressource d’hébergement intermédiaire dans le passé est un élément qui, en soi, est nettement insuffisant pour décider de son aptitude à consentir à tout autre soin de même nature.

[184]   Cette conclusion s’explique par le fait que le 13 mai 2019, il n’est aucunement question de la ressource Dorvilier et ce faisant, par l’impossibilité de la cliente à consentir à cet hébergement en particulier.

[185]   Soulignons également l’absence de preuve que la cliente a été jugée apte à formuler un consentement clair en ce qui concerne le lieu d’hébergement intermédiaire qui l’a accueilli dans le passé.

[186]   Il en est de même concernant l’argument avancé par l’intimée selon lequel elle note une « constance » dans le désir que la cliente exprime clairement « d’être en hébergement ».

[187]   Autrement dit, le caractère immuable de la volonté exprimée par la personne majeure sous curatelle n’a rien à voir avec son aptitude à consentir à un soin.

[188]   Du moins, suivant les critères de la Nouvelle-Écosse, il ne s’agit pas d’un élément à considérer.

[189]   En application de ces critères, ce sont plutôt les éléments suivants qui doivent faire l’objet d’une évaluation :

         La personne comprend-elle la nature de sa maladie et les particularités de sa situation?

         La personne comprend-elle la nature et le but du service d’hébergement demandé?

         La personne comprend-elle les risques associés au lieu d’hébergement intermédiaire envisagé?

         La personne comprend-elle les risques encourus si elle refuse la ressource d’hébergement offerte?

         La capacité à consentir de la personne est-elle compromise par sa maladie?

[190]   Dans un second temps, lors de l’instruction, l’intimée affirme avoir procédé à l’évaluation de l’aptitude de la cliente à consentir à la ressource Dorvilier pendant la rencontre « en équipe qui a lieu le 25 juin 2019 ».

[191]   Une telle affirmation est pour le moins étonnante sachant qu’elle est absente lorsque l’équipe multidisciplinaire rencontre la cliente à cette date.

[192]   Le Conseil voit mal comment, dans ces circonstances, elle est en mesure d’attester de l’aptitude de la cliente à consentir à cette ressource intermédiaire.

[193]   En somme, hormis l’affirmation générale que l’intimée fait lors de l’instruction selon laquelle « la cliente est apte à consentir à être hébergée dans une ressource intermédiaire », rien n’indique qu’elle applique rigoureusement « les critères de la Nouvelle-Écosse » afin d’évaluer si la cliente est apte à consentir à la ressource Dorvilier.

[194]   Il y a absence totale de preuve probante le démontrant.

[195]   S’il incombe à la plaignante de rencontrer son fardeau de preuve à l’égard des infractions reprochées sous le chef 1, pour sa part, l’intimée a l’obligation d’établir, par une preuve prépondérante, les faits servant d’assise à son moyen de défense[13].

[196]   Soulignons que la conclusion à laquelle le Conseil en vient est la même que celle émise par le délégué désigné du Protecteur du citoyen.

[197]   Pour une meilleure compréhension, ce dernier écrit ce qui suit à la rubrique intitulée « Concernant la validation de l’aptitude de la cliente à formuler un consentement » :

S’il n’existe pas de règles formelles précisant qui est habilité à faire une telle évaluation, l’avis de deux professionnels, un médecin (psychiatre ou omnipraticien) et un travailleur social (TS) est néanmoins fortement recommandé. Dans la présente situation, en l’absence de ces professionnels au sein de l’équipe du CRDITED, c’est un psychoéducateur qui a conduit l’évaluation, assisté par un technicien en éducation spécialisé. Je ne saurais discuter de la compétence des personnes ayant procéder à cette démarche d’évaluation, mais force est de constater que la composition de cette équipe d’évaluateur est en dessous de ce qui est considéré comme une bonne pratique.

Je ne saurais davantage discuter du bien-fondé de la conclusion de ces intervenants, dont on me dit qu’elle a été validée avec la travailleuse sociale du CLSC [l’intimée], sans toutefois que cette dernière procède à ses propres observations auprès de sa cliente.

[Transcription textuelle, sauf précision et soulignements ajoutés]

[198]   Dans ce contexte, il est impossible de retenir que la participation de l’intimée à trois des quatre rencontres qui se tiennent le 25 juin 2019 découle de son évaluation objective de la situation et de l’aptitude de la cliente à consentir à un soin.

[199]   Compte tenu de la déficience intellectuelle moyenne diagnostiquée à la cliente et du rapport d’évaluation neuropsychologique daté du 30 novembre 2011 dans lequel il est mentionné, entre autres, qu’elle a une capacité de déduction limitée, il était pourtant essentiel qu’elle vérifie l’aptitude de la cliente à s’approprier l’information relative à la ressource Dorvilier, à l’appliquer à sa situation particulière et à faire preuve d’autocritique face à cette proposition d’hébergement.

[200]   Or, devant le Conseil, l’intimée reconnaît qu’elle était absente lors de la visite de la ressource Dorvilier effectuée le 14 juin 2019.

[201]   De plus, lors de son témoignage, sa gestionnaire de l’époque, Mme Paul-Hus-Bonin, souligne que la ressource Dorvilier est en construction afin d’y ériger de nouvelles installations, à l’époque des faits reprochés dans la plainte.

[202]   Ainsi, en l’absence de preuve démontrant que l’intimée entreprend les démarches lui permettant d’avoir une connaissance suffisante de la ressource Dorvilier et de ses spécificités, on ne peut conclure que le 25 juin 2019, elle possède les données suffisantes pour porter un jugement clair et objectif sur la situation de la cliente et pour agir dans l’intérêt de cette dernière.

[203]   L’intimée reconnaît également que la conclusion selon laquelle l’opinion de la plaignante, qui rejette la ressource Dorvilier et l’estime inadéquate pour la cliente, se fonde sur des motifs qui sont peu valables émane du psychoéducateur du CRDITED qui est présent pendant la visite du 14 juin 2019 et non d’elle.

[204]   Cette dernière reconnaissance de l’intimée soulève la question de savoir comment, dans ces circonstances, le 25 juin 2019, elle peut raisonnablement penser être en mesure de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité?

[205]   De surcroît, comme elle est absente lors de la troisième rencontre qui a lieu le 25 juin 2019 avec le reste de l’équipe multidisciplinaire et la cliente, on peut difficilement comprendre ce qui l’amène à croire qu’elle est en mesure d’agir objectivement et dans l’intérêt de la cliente lorsqu’à cette même date, elle parle avec la cheffe en réadaptation, Mme Jessica Berardino, et à la directrice adjointe en DI-TSA au CLSC, Mme Dominique Harvey, de la quatrième rencontre qu’elle entend tenir le lendemain avec la plaignante et la coordonnatrice clinique du CRDITED, Mme Myriam Joyal.

[206]   Il en est de même concernant sa capacité d’apprécier le conseil que la directrice adjointe DI-TSA au CLSC, Mme Dominique Harvey, lui donne de vérifier auprès de la cliente si elle souhaite la réévaluation de son degré d’inaptitude et de la désignation de sa curatrice.

[207]   En définitive, force est de constater que l’absence d’évaluations de la situation de la cliente et de son aptitude à consentir à la ressource Dorvilier prive l’intimée de sa capacité de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité le 25 juin 2019.

[208]   Cela est en outre grandement défavorable à l’établissement et au maintien de la relation de confiance entre elle et la cliente.

[209]   Mais il y a plus.

[210]   La plaignante soulève qu’elle n’a pas été avertie du fait que la cliente serait retirée de l’école le 25 juin 2019 pour se rendre dans l’établissement du CRDITED afin de donner son consentement à l’équipe multidisciplinaire qui planifie de l’héberger temporairement à la ressource Dorvilier.

[211]   La plaignante ajoute qu’elle ignorait aussi que la cliente se rendrait ensuite, comme prévu, à la ressource de répit occasionnel, mais en utilisant le transport adapté demandé par l’éducateur spécialisé du CRDITED qui, à son insu, l’a raccompagnée jusqu’à l’école après la réunion.

[212]   Elle dit avoir été mise devant les faits accomplis le 25 juin 2019.

[213]   La plaignante se plaint au surplus du comportement impersonnel de l’intimée lors de sa rencontre avec l’équipe multidisciplinaire soulignant le fait qu’elle ne lui porte alors aucune attention.

[214]   Elle fait également état des conséquences négatives que le déroulement de cette journée a eues sur l’état psychologique de la cliente.

[215]   La dernière récrimination exprimée par la plaignante s’harmonise avec les notes colligées par l’éducateur spécialisé du CRDITED qui reconduit la cliente à l’école après la rencontre du 25 juin 2019.

[216]   Ce dernier rapporte en effet que la cliente est en colère et dans un état d’anxiété élevé pendant tout le trajet.

[217]   La détresse psychologique que la rencontre du 25 juin 2019 engendre chez la cliente concorde également avec le message qu’elle laisse sur la boîte vocale de la plaignante l’avisant qu’elle est arrivée à la ressource de répit occasionnel, qu’elle ignorait qu’elle se joindrait à la réunion de l’équipe multidisciplinaire, que « personne ne lui a dit qu’il allait y avoir une réunion », et « qu’elle l’a su ce matin à l’école par [le psychoéducateur du CRDITED] ».

[218]   En écoutant l’enregistrement de ce message, le Conseil constate que, vers la fin, la cliente devient émotive lorsqu’elle répète successivement « qu’elle ne le savait même pas » et se plaint du fait « que personne ne lui parle ».

[219]   La cliente poursuit et affirme à la plaignante « que pour l’instant, elle est comme en état de choc » et indique qu’elle n’a pas envie de parler.

[220]   Cet élément de preuve supporte la thèse de la plaignante selon laquelle la journée du 25 juin 2019 place la cliente dans un état de colère et de désorganisation sur le plan émotif.

[221]   Cela donne de la valeur au récit de la plaignante qui prétend qu’il n’était pas dans l’intérêt de la cliente que l’intimée suive le plan établi par l’équipe multidisciplinaire.

[222]   En outre, ce que la plaignante avance est supporté par les faits rapportés par le délégué désigné du Protecteur du citoyen lorsqu’il se penche sur le bien-fondé de la plainte qu’elle lui présente en lien avec les mêmes événements, par la description détaillée des faits qu’elle allègue au soutien de la plainte présentement à l’étude ainsi que par ce qu’elle invoque lors de sa comparution devant le Conseil.

[223]   Il y a donc lieu de retenir que la séquence des événements survenus le 25 juin 2019 a eu un impact négatif sur la relation entre l’intimée et la cliente.

[224]   Quant à la crédibilité de la plaignante, en l’instance, il y a absence d’éléments mettant en doute son honnêteté, son intégrité et sa sincérité.

[225]   Sa décision de se plaindre de l’exercice des activités professionnelles par l’intimée ne semble en outre pas motivée par la vengeance ou par un désir de lui nuire.

[226]   La plaignante témoigne plutôt avoir dénoncé sa conduite professionnelle afin d’éviter que d’autres proches parents ne subissent le même traitement qu’elle.

[227]   En défense, l’intimée explique que l’empressement de rencontrer la cliente le 25 juin 2019 s’explique par la Fête nationale du Québec célébrée le 24 juin et le départ imminent de celle-ci qui doit se rendre chez son frère le 29 juin 2019.

[228]   Bref, elle soutient que dans ces circonstances, les fenêtres d’opportunité pour la rencontrer étaient restreintes soulignant le fait que la plaignante avait déjà refusé deux propositions de ressources d’hébergement, le niveau de priorité « élevé » attribué à sa demande d’hébergement laquelle suppose une certaine urgence et la détérioration de la situation familiale de la cliente en raison de l’augmentation des conflits entre celle-ci et la plaignante.

[229]   À l’instar de la plaignante, le Conseil constate néanmoins l’absence de preuve démontrant que l’intimée s’informe de la nature et de la fréquence des conflits dans le but d’évaluer l’urgence à trouver un autre milieu de vie pour la cliente.

[230]   Elle semble plutôt se fier sur l’évaluation réalisée par les intervenants du CRDITED.

[231]   Rien n’indique non plus qu’elle tient compte du caractère évolutif de la situation de la cliente ce qui, une fois de plus, la prive de sa capacité de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec objectivité, le 25 juin 2019.

[232]   Cela est d’autant plus vrai dans le contexte où la plaignante affirme à plusieurs occasions « qu’il n’y a pas d’urgence à trouver une ressource d’hébergement à la cliente ».

[233]   Ajoutons qu’il est pour le moins surprenant de constater que l’intimée n’écrit rien, dans les notes qu’elle collige au dossier de la cliente après la seconde rencontre qui se tient le 25 juin 2019, sur la condition de santé de la plaignante alors qu’il appert de la preuve que cette dernière en parle à cette date et qu’il s’agissait du motif retenu par le CRDITED justifiant de prioriser le traitement de sa demande de trouver une ressource d’hébergement pour la cliente.

[234]   À ce propos, la coordonnatrice clinique du CRDITED, Mme Myriam Joyal, qui est également présente lors de la rencontre avec la plaignante, écrit :

Discussion sur l’état de santé de [la plaignante]. Selon son médecin, l’hébergement pourrait attendre une autre année. [La plaignante] à la santé pour vivre les situations anxiogènes du quotidien avec [la cliente].

[Transcription textuelle, sauf anonymisation]

[235]   Or, il est difficile d’ignorer que ces informations supportent la prétention de la plaignante selon laquelle, le 25 juin 2019, il n’y avait plus d’impératif à dénicher une ressource d’hébergement à la cliente à court terme et le manque d’objectivité reproché à l’intimée.

[236]   L’intimée est de surcroît peu loquace sur les raisons qui justifiaient de ne pas aviser à l'avance la cliente ayant une déficience intellectuelle moyenne et sa curatrice désignée, la plaignante, du plan établi par l’équipe multidisciplinaire.

[237]   On peut penser que l’équipe multidisciplinaire souhaitait ainsi s’assurer de préserver le caractère libre du consentement à obtenir de la cliente considérant l’impression générale qui se dégage de la lecture des notes émanant des intervenants du CRDITED à savoir que la plaignante décide tout pour la cliente et l’influence.

[238]   Si à première vue, cela paraît constituer un motif sérieux et valable, en l’espèce, le Conseil est d’avis qu’au minimum, il aurait été nécessaire que l’intimée annonce à la cliente que l’équipe multidisciplinaire envisageait de la rencontrer le 25 juin 2019.

[239]   Considérant sa condition de santé, la prendre par surprise le jour même sur un aspect aussi important que son consentement à la ressource Dorvilier ne favorise aucunement la communication entre l’intimée et la cliente et ce faisant, l’établissement et le maintien de la confiance avec l’intimée.

[240]   Un tel comportement de l’intimée n’est pas non plus favorable à la collaboration de la plaignante qui joue un rôle important auprès de la cliente s’agissant d’une proche parente et de sa curatrice désignée.

[241]   Cela est d’autant plus vrai sachant que le 21 juin 2019, la cliente exprime ouvertement à l’éducateur spécialisé du CRDITED, M. Christian Roy, sa volonté que la plaignante y collabore.

[242]   Bref, pour le Conseil, la transparence de la travailleuse sociale est cruciale pour instaurer la confiance et favoriser la collaboration de la cliente et de sa famille (comme la plaignante, sa curatrice désignée).

[243]   En d’autres mots, l’intimée aurait dû se rappeler que le partage des informations inspire confiance. La désinformation et la surprise risquent au contraire de déconcerter la cliente vulnérable en raison de sa condition de santé et de semer la méfiance chez cette dernière et la plaignante.

[244]   Concernant le reproche verbalisé par la plaignante selon lequel l’intimée évite de la regarder pendant la rencontre avec l’équipe multidisciplinaire, qu’elle se comporte d’une manière impersonnelle avec elle.

[245]   L’intimée ne présente aucune défense face à ce grief.

[246]   Sans dire que la preuve présentée par la plaignante est concluante à cet égard, il y a tout de même lieu de souligner l’importance du regard dans la communication entre la travailleuse sociale, sa cliente et le cas échéant, la famille de celle-ci.

[247]   Particulièrement lorsque, comme en l’espèce, elle participe à une rencontre qui implique divers intervenants et professionnels issus de différentes disciplines.

[248]   Il est acquis que le contact visuel permet de transmettre de l’information (communication non verbale). Il joue un rôle significatif dans la relation en ce qu’il témoigne de l’attention que la travailleuse sociale donne à sa cliente et, le cas échéant, à la famille de celle-ci.

[249]   Un bon contact visuel et l’intérêt qu’elle leur porte participent à l’établissement et au maintien de la relation de confiance.

[250]   La travailleuse sociale doit donc être consciente de l’impact négatif possible d’un regard distrait, neutre ou indifférent sur la relation avec la cliente et sa famille. Un tel comportement peut en effet être perçu comme l’indice d’une attitude de désintéressement.

[251]   Au contraire, le regard curieux et observateur inspire la confiance.

[252]   Sans surprise, favoriser la communication verbale et non verbale et éviter les pièges qui affectent la relation comme en procédant à une évaluation rigoureuse de la situation de la cliente plutôt que de se fier aux informations rapportées par les autres professionnels ou intervenants qui lui fournissent des services aident à établir et à maintenir la confiance avec la cliente et sa famille.

[253]   En somme, pour le 25 juin 2019, la plaignante rencontre son fardeau de preuve en ce qui concerne les deux dispositions de rattachement invoquées au chef 1.

Le 26 juin 2019

[254]   Rappelons qu’à cette date, l’intimée rencontre la plaignante au CLSC. Elle est alors accompagnée de la coordonnatrice clinique du CRDITED, Mme Myriam Joyal.

[255]   Ces dernières projettent d’annoncer à la plaignante qu’une procédure légale sera entamée en lien avec l’hébergement de la cliente et de lui expliquer son rôle comme curatrice.

[256]   Lors de cette rencontre, la plaignante réitère qu’elle conteste l’idée que la cliente aille vivre temporairement à la ressource Dorvilier.

[257]   Elle indique préférer que la cliente demeure temporairement chez sa fille aînée à partir du mois d’août 2019 et l’absence d’urgence à lui trouver un hébergement d’ici le mois de septembre ou octobre, étant donné la diminution de la fréquence et de la violence des crises de la cliente.

[258]   Selon les notes professionnelles consignées par l’intimée, pendant la rencontre, la plaignante l’aurait invitée à lire le rapport neurologique produit en 2015 pour bien comprendre les enjeux de la cliente.

[259]   Toutefois, lors de l’instruction, la plaignante présente les trois seuls rapports suivants :

259.1.      Le rapport neuropsychologique signé le 30 novembre 2011;

259.2.      Le rapport d’évaluation psychosociale daté du 13 février 2014;

259.3.      Le rapport en neurologie signé le 14 mai 2019.

[260]   Il y a absence de preuve démontrant l’existence d’un rapport neurologique produit en 2015 auquel réfère l’intimée. Elle est totalement silencieuse quant à la source à l’origine de cette information.

[261]   Devant le Conseil, elle reconnaît par ailleurs qu’elle n’avait pas accès au rapport d’évaluation psychosociale daté du 13 février 2014 lorsqu’elle remplit les formulaires datés des 16 et 24 janvier 2020, comme exigé par le curateur public dans le cadre de la réévaluation du régime de protection de la cliente.

[262]   Ce faisant, on peut en déduire que l’intimée n’avait pas pris connaissance du contenu de ce rapport avant la rencontre du 26 juin 2019.

[263]   Or, la travailleuse sociale l’ayant produit mentionne ceci à la rubrique intitulée « Conclusions de l’évaluateur sur l’inaptitude et le besoin de protection » :

Or, à la lumière des informations recueillies, de nos rencontres [la cliente], avec [la plaignante], nous croyons que son inaptitude à assurer la protection de sa personne et à exercer ses droits civils, comme à administrer ses biens, est totale et permanente. Nous sommes ainsi en accord avec les conclusions du rapport médical. [La cliente] peut exécuter des tâches simples, comprendre des consignes simples, mais exige encadrement et rappels constants. […]

Reconnaissant les gestes posés par [la plaignante] pour lui procurer un contexte de vie intéressant et lui assurer bien-être et sécurité, elle dit espérer continuer d’habiter auprès d’elle. [La cliente] s’est exposée maintes fois à des situations au potentiel d’exploitation sexuelle ou de dangerosité, sans douter que sa sécurité pouvait s’en trouver menacée. Comme ce jour où, se sachant suivie par un individu depuis son lieu de stage jusqu’à la maison, elle s’apprêta à entrer alors qu’il se tenait derrière elle. L’intervention de [la plaignante] permit, à en pas douter, d’éviter une situation qui aurait pu mal tourner. [La cliente] entre facilement en relation de confiance d’une manière naïve, est sans défense et démunie mais aussi très influençable […] [La cliente] a un faible jugement.

[Transcription textuelle, sauf anonymisation]

[264]   Toujours dans ce rapport, à la rubrique intitulée « Opinion de l’évaluateur quant à l’opportunité d’une telle nomination », la même travailleuse sociale écrit notamment :

De nos rencontres avec [la plaignante], il ressort une très grande préoccupation à l’égard de [la cliente], pour son bien-être et sa protection. […]

[La plaignante] a l’appui de ses deux enfants aînés pour assumer sa représentation légale. […]

[Transcription textuelle, sauf anonymisation]

[265]   Rappelons que le 26 juin 2019, la plaignante affirme qu’elle ne se sent présentement pas en danger.

[266]   Or, on doit donner raison à la plaignante. Il y a absence de preuve démontrant qu’à cette date, l’intimée envisage de réévaluer l’urgence entourant la situation familiale de la cliente.

[267]   Il y a en outre absence de preuve qu’elle considérera l’option d’hébergement proposée par la plaignante avant qu’un recours judiciaire ne soit institué.

[268]   Les comportements dénoncés précédemment vont à l’encontre de l’obligation qui incombe à l’intimée de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité.

[269]   On ne peut de plus ignorer le fait que la solution de rechange à la ressource Dorvilier offerte par la plaignante, s’harmonise mal avec la note de l’intimée datée du 31 mai 2019 selon laquelle la plaignante « soulève avoir une crainte de la solitude ».

[270]   D’ailleurs, à cet égard, devant le Conseil, la plaignante affirme avec conviction n’avoir en aucun temps manifesté une telle crainte à l’intimée.

[271]   Mentionnons que le fait que la cliente ait déjà vécu dans une ressource d’hébergement similaire auparavant est un fait additionnel difficilement conciliable avec la version contestée rapportée par l’intimée.

[272]   Or, faut-il le souligner, l’information notée par l’intimée a pour effet de semer un doute à savoir si l’opposition dont la plaignante fait preuve face à la ressource Dorvilier découle de son angoisse de la solitude plutôt que du caractère inapproprié de l’hébergement envisagé eu égard à la situation de la cliente comme la plaignante le prétend.

[273]   On doit aussi se rappeler que, le 26 juin 2019, l’intimée sait qu’elle a inscrit la remarque suivante dans le dossier de la cliente à la suite de la première rencontre en personne qu’elle a avec elle le 13 mai 2019 :

[…] [La cliente] mentionne que sa [sa proche parente] dit qu’il n’y a pas d’hébergement pour elle et devra rester ici pour le moment. Notons le manque de transparence de [la plaignante] envers [la cliente]

[Transcription textuelle, sauf anonymisation]

[274]   La teneur des remarques de l’intimée, discutées précédemment, dénote qu’elle semble consciemment ou inconsciemment, dès le début de la relation avec la cliente, peu encline à considérer que la plaignante se préoccupe d’assurer la protection de la cliente et qu’elle agit dans l’intérêt de cette dernière. Ce faisant, on peut difficilement imaginer qu’elle est ouverte à prendre en compte son opinion et ses idées.

[275]   Une telle conclusion est supportée par les commentaires suivants que l’intimée exprime au soutien des avis contradictoires qu’elle formule les 20 et 23 janvier 2020 dans le cadre de la réévaluation du régime de protection de la cliente :

275.1.      L’intimée est d’avis que le milieu de vie actuel de la cliente ne répond pas à ses besoins compte tenu de la violence psychologique à la maison;

275.2.      Elle souligne que la cliente peut exprimer clairement ses opinions et ses choix, mais qu’ils « ne sont pas écoutés » par sa curatrice;

275.3.      Elle mentionne que la plaignante ne joue pas son rôle de curatrice adéquatement et soulève sa mauvaise gestion.

[276]   Du moins, à la lumière de la preuve, il est impossible de retenir que ces avis émanant de l’intimée sont fondés sur une appréciation objective et suffisante de la situation de la cliente alors qu’à ces dates, elle ne l’a vue qu’une seule fois (soit le 13 mai 2019), n’a pas évalué sa situation et son aptitude à consentir au soin envisagé ni consulté les autres membres qui sont proches d’elle dont sa sœur et son frère qui forment le conseil de famille.

[277]   Or, faut-il le rappeler, non seulement la règle générale demeure que la bonne foi se présume[14], mais la plaignante est une proche parente et la curatrice désignée pour veiller à la protection de la cliente.

[278]   De plus, l’intimée ne voit la plaignante qu’à deux occasions (soit le 13 mai et le 25 juin 2019) et elle est alors accompagnée d’un ou plusieurs intervenants du CRDITED.

[279]   En somme, il est difficile d’ignorer que c’est la plaignante qui, de façon globale, s’occupe de la cliente dans la vie de tous les jours notamment, à l’égard de l’exercice de ses droits civils.

[280]   Dans ce contexte, la volonté de l’intimée de contraindre la plaignante à accepter la ressource Dorvilier contre son gré en brandissant la possibilité d’avoir recours à la justice si elle refuse est contraire à ses obligations déontologiques, sachant qu’elle est tenue d’agir dans l’intérêt de la cliente et d’inclure sa famille dans le processus d’hébergement déjà en cours.

[281]   Bien qu’un tel comportement de sa part s’explique vraisemblablement par les renseignements qu’elle recueille auprès des intervenants du CRDITED, l’absence d’évaluation de la situation de la cliente et de son aptitude à consentir au soin projeté, le peu d’expérience professionnelle qu’elle a à cette date et, le cas échéant, les pressions d’ordre institutionnel qui lui sont imposées lorsqu’elle a été appelée à intervenir auprès de la cliente, il ne s’agit pas de moyens de défense recevables sur culpabilité.

[282]   Le fait que l’intimée tienne de tels propos et adopte l’attitude dénoncée par la plaignante, laquelle est supportée par la preuve, teinte inévitablement les actions qu’elle pose auprès d’elle et ne permet pas de considérer qu’elle est en mesure de faire preuve d’objectivité le 26 juin 2019 et d’agir dans l’intérêt de sa cliente.

[283]   Ce faisant, elle enfreint son obligation de faire tout en son pouvoir pour établir et maintenir une relation de confiance entre elle-même et sa cliente.

[284]   Sur un autre sujet, mais toujours dans les notes colligées par l’intimée en lien avec la rencontre du 26 juin 2019, elle écrit :

[…] Expliquons le consentement substitué aux soins d’une personne inapte. Disons que la volonté de la personne représentée doit être prise en compte et il faut agir dans le meilleur intérêt de celui-ci. [La plaignante] affirme » [la cliente] n’est pas constante dans sa volonté et n’est pas apte à juger ». Mentionnons à [la plaignante] que nous, ainsi que le psychoéducateur et l’éducateur spécialisé du CRDITED avons évalué la volonté de [la cliente] et celle-ci est constante dans le temps. Affirmons que [la cliente] est très claire sur ce qu’elle veut et ne change pas d’idée. […]

[Transcription textuelle, sauf anonymisation]

[285]   D’une part, le Conseil est perplexe sur l’interprétation qui doit être donnée à ces notes.

[286]   Elles soulèvent en effet la question de l’utilité d’avoir abordé avec la plaignante le consentement substitué aux soins d’une personne inapte prévu à l’article 12 C.c.Q. si, comme le soutient l’intimée tout au long de l’instance, elle considère la cliente apte à consentir à son hébergement au sein de la ressource Dorvilier?

[287]   D’autre part, de l’avis du Conseil, il y a lieu de souligner l’importance de distinguer ce que la cliente exprime vouloir ou désirer de son aptitude à consentir à un soin s’agissant de deux notions intrinsèquement différentes.

[288]   En l’instance, faut-il le rappeler, comme il y a absence de preuve démontrant que l’intimée a procédé aux évaluations requises et qu’elle connaît les particularités de la ressource Dorvilier, la preuve prépondérante ne permet pas de considérer que le 26 juin 2019, elle a les données suffisantes pour porter un jugement éclairé sur la situation de la cliente et ce faisant, pour agir dans l’intérêt de cette dernière.

[289]   S’agissant d’une condition préalable au respect de l’obligation déontologique imposant aux membres de l’Ordre d’agir avec objectivité et de tout faire pour établir et maintenir une relation de confiance avec la cliente et sa famille, il y a lieu de conclure qu’elle est en situation de contravention le 26 juin 2019.

Le 27 juin 2019

[290]   Comme déjà mentionné, à cette date, l’intimée appelle au domicile de la plaignante.

[291]   La lecture des notes professionnelles colligées dans le dossier de la cliente nous apprend qu’elle souhaite alors « s’assurer que le climat n’est pas tendu à la maison ».

[292]   L’intimée indique qu’elle demande à parler avec la cliente et que la plaignante refuse.

[293]   Elle précise à cette dernière qu’elle veut seulement vérifier si la cliente va bien.

[294]   La plaignante répond à l’intimée « qu’ils n’ont pas le temps pour cela ».

[295]   La volonté de l’intimée, de s’assurer que la situation familiale de la cliente est adéquate et que cette dernière va bien, est une préoccupation qui, à première vue, semble appropriée d’un point de vue professionnel.

[296]   La plaignante plaide que l’intimée appelle pour avoir le pouls du climat à la maison et non pour prendre des nouvelles de la cliente. Elle laisse, de ce fait, entendre que l’intimée est animée par une forme de désintéressement face à l’intérêt de la cliente.

[297]   La preuve ne permet toutefois pas de soutenir une telle récrimination.

[298]   Faut-il le rappeler, l’enjeu ne se situe pas au niveau de l’intérêt que l’intimée porte à la cliente, mais au niveau des données insuffisantes qu’elle possède pour porter un jugement éclairé sur la situation et pour agir dans l’intérêt de sa cliente.

[299]   En effet, il est difficile d’ignorer le fait que la démarche de suivi téléphonique entreprise par l’intimée suppose qu’elle détient l’information pertinente justifiant sa crainte au niveau de l’ambiance générale au sein de la famille de la cliente, des conflits entre la plaignante et la cliente et des crises manifestées par cette dernière.

[300]   Or, rappelons-nous que l’intimée fait connaissance avec la cliente le 13 mai 2019 et qu’elle ne la revoit pas et ne lui reparle pas avant de l’appeler le 27 juin 2019.

[301]   Elle n’a donc réalisé qu’une seule rencontre en personne avec la cliente pendant laquelle elle était accompagnée de l’éducateur spécialisé du CRDITED.

[302]   Concernant la plaignante, l’intimée lui parle brièvement au téléphone le 11 avril 2019, la voit le 13 mai 2019 lorsqu’elle se rend à son domicile avec l’éducateur spécialisé du CRDITED et le 30 mai 2019, lorsque la plaignante se déplace au CLSC pour l’identification des ressources de répit qui lui sont disponibles.

[303]   Il appert de la preuve que le 13 mai 2019, la plaignante fait état de l’agressivité dont la cliente a fait preuve envers elle après avoir consommé de l’alcool l’ayant obligée à faire appel aux policiers.

[304]   La plaignante souligne par ailleurs à l’intimée que l’épisode d’agressivité manifesté par la cliente survient à la suite du vol d’argent qu’elle a commis et qu’il représente la punition qu’elle s’inflige par sentiment de culpabilité.

[305]   La plaignante partage à l’intimée sa volonté que la cliente entame un suivi psychologique afin que ses comportements d’agressivité fassent l’objet d’une évaluation.

[306]   Devant le Conseil, en défense, l’intimée affirme qu’elle restait préoccupée par la survenance d’un tel épisode d’agressivité manifesté par la cliente et par la sécurité de la plaignante qui semble minimiser la dangerosité de sa situation.

[307]   Il n’y a cependant aucune preuve démontrant qu’elle prend les moyens pour vérifier si l’information transmise par la plaignante le 13 mai 2019 fonde son appréhension.

[308]   En effet, en l’instance, rien n’indique que l’intimée entreprend les démarches pour déterminer si une telle situation d’agressivité est survenue antérieurement et postérieurement à l’événement rapporté par la plaignante et le cas échéant, à quelle fréquence, le nombre d’épisodes d’agressivité en général manifestée par la cliente depuis qu’elle a remplacé l’autre travailleuse sociale et la nature des conflits qui surviennent entre cette dernière et la plaignante.

[309]   Il n’y a rien non plus sur le traitement que l’intimée donne à la demande de services psychologiques formulée par la plaignante et sur son avis du bien-fondé d’une telle démarche psychologique comme solution possible à l’agressivité de la cliente.

[310]   Considérant les informations qui précèdent, comment l’intimée peut-elle raisonnablement et objectivement apprécier le niveau de dangerosité de la situation et justifier la crainte qui l’amène à intervenir auprès de la cliente le 27 juin 2019 afin de sonder le climat familial dans lequel elle se trouve depuis son retour auprès de la plaignante?

[311]   En outre de ces informations, la décision de l’intimée d’appeler au domicile de la plaignante le 27 juin 2019 alors qu’elle était absente lors de la rencontre du 25 juin 2019 avec la cliente, qu’elle n’a procédé à aucune évaluation de la situation de cette dernière et de son aptitude à consentir au soin envisagé, risquait d’être plus dommageable que bénéfique pour l’établissement et le maintien du lien de confiance entre elle-même et la cliente.

[312]   Pour le Conseil, une rencontre en personne en se rendant seule au domicile de la plaignante aurait été une démarche plus appropriée dans les circonstances pour tenter de rétablir la confiance.

[313]   D’ailleurs, il est difficile d’ignorer l’attitude de fermeture dont la cliente semble faire preuve le 27 juin 2019. Elle porte en effet à croire que la démarche que l’intimée entreprend auprès d’elle à cette date rompt définitivement la relation de confiance.

[314]   Il y a donc lieu de considérer que l’intimée est également en situation d’infraction le 27 juin 2019.

Conclusion à l’égard du chef 1

[315]   L’analyse attentive des actes posés par l’intimée les 25, 26 et 27 juin 2019 en considération des informations qu’elle possède à cette période amène le Conseil à conclure que, sous le chef 1, la plaignante établit à l’aide d’une preuve probante, claire et convaincante que l’intimée contrevient à l’article 3.01.04 du Code de déontologie (obligation de tout faire en son pouvoir pour établir et maintenir une relation de confiance entre lui-même et sa cliente) et à l’article 3.02.01 du Code de déontologie (obligation de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité).

[316]   Il y a donc lieu de déclarer l’intimée coupable des infractions fondées sur ces deux dispositions.

[317]   Néanmoins, en application des principes de l’arrêt Kienapple[15] interdisant les condamnations multiples pour la même infraction, sous le chef 1, le Conseil retient l’article 3.02.01 du Code de déontologie comme disposition de rattachement.

[318]   En l’instance, il s’agit de l’obligation déontologique la plus directement liée à la conduite blâmable grave opposable à l’intimée sous le chef à l’étude.

[319]   Ce faisant, il y a lieu de prononcer la suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 3.01.04 du Code de déontologie.

2)   Sous le chef 2, la plaignante démontre-t-elle de façon prépondérante claire et convaincante qu’entre le 11 avril et le mois de juillet 2019, l’intimée a fait défaut de tout faire en son pouvoir pour établir et maintenir une relation de confiance entre elle-même et sa cliente comme l’impose l’article 3.01.04 du Code de déontologie et de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité conformément à l’article 3.02.01 du Code de déontologie?

[320]   Signalons d’entrée de jeu, qu’à l’exception de la période d’infraction plus étendue visée sous le chef 2 (laquelle inclut celle visée sous le chef 1), la plaignante reproche à l’intimée d’avoir contrevenu aux obligations prévues aux deux mêmes dispositions du Code de déontologie que celles invoquées sous le chef°1.

[321]   Bien que le libellé de ces dispositions apparaît au chef 1, aux fins de la détermination de la culpabilité ou de l’acquittement de l’intimée sous le chef à l’étude, rappelons seulement qu’à l’article 3.01.04 du Code de déontologie il est question de l’obligation de tout faire en son pouvoir pour établir et maintenir une relation de confiance entre lui-même et sa cliente et à l’article 3.02.01 du Code de déontologie, il est question du devoir de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité.

[322]   Mentionnons en outre que la cliente est aussi celle visée par le chef 2.

[323]   Également, les faits générateurs des infractions invoquées sous le chef 1 sont parmi ceux cités par la plaignante au soutien du chef 2.

[324]   Bref, force est de constater que l’étude de la preuve réalisée par le Conseil sous le chef 1 et les conclusions émises sous ce même chef sont pertinentes sous le chef 2.

[325]   Il n’est donc pas requis de reprendre l’analyse détaillée effectuée sous le chef 1, en ce qui concerne les 25, 26 et 27 juin 2019. Retenons que le Conseil en vient à un verdict de culpabilité en raison de l’infraction commise par l’intimée fondée sur l’article 3.02.01 du Code de déontologie.

[326]   Ces remarques préliminaires étant faites, mentionnons que sous le chef 2, la plaignante examine l’exercice de la profession par l’intimée plus particulièrement sous l’angle de l’obligation imposée aux membres de l’Ordre d’établir et de maintenir une relation de confiance entre elle-même et la cliente.

[327]   Elle soulève que l’intimée a contrevenu à cette obligation déontologique.

[328]   En revanche, cette dernière met de l’avant le fait qu’elle remplace l’autre travailleuse sociale alors que le processus d’hébergement impliquant la cliente est déjà en cours, le délai d’environ trois mois durant lequel elle a offert des services à la cliente et à sa famille (la plaignante) ainsi que la conduite de la plaignante qui fait obstacle à l’établissement et au maintien de la relation avec la cliente.

[329]   Les observations faites précédemment soulèvent donc la question de savoir si l’examen de la preuve et des autres actes posés par l’intimée entre le 11 avril 2019 et le mois de juillet 2019, soit la période visée par le chef 2, permet au Conseil de prononcer une déclaration de culpabilité relativement à une infraction distincte sous ce chef.

[331]   Au soutien de cette conclusion, soulignons que le devoir, qui incombe à l’intimée, de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité (prévu à l’article 3.02.01 du Code de déontologie – chef 1) constitue l’un des éléments parmi ceux à considérer dans l’analyse globale permettant de déterminer si elle respecte l’obligation déontologique de faire tout en son pouvoir pour établir et maintenir une relation de confiance entre lui-même et sa cliente.

[332]   On ne peut en effet ignorer que l’article 3.01.04 du Code de déontologie se situe à la rubrique 1 intitulée « Dispositions générales » de la section III du Code de déontologie, laquelle traite des devoirs et obligations envers le client, alors que l’article 3.02.01 du Code de déontologie se trouve à la rubrique 2 intitulée « Intégrité et objectivité » de cette même section.

[333]   Les autres devoirs et obligations envers le client sont énoncés aux rubriques subséquentes de la section III. On y trouve notamment celles intitulées « Disponibilité et diligence », « Responsabilité », « Indépendance et désintéressement », « Secret professionnel ».

[334]   Or, il est logique de penser que le fait pour l’intimée, de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité (l’article 3.02.01 du Code de déontologie), de faire preuve de disponibilité et de diligence, d’engager pleinement sa responsabilité civile, de subordonner son intérêt personnel à celui de sa cliente et de respecter le secret de tout renseignement de nature confidentielle obtenu dans l’exercice de sa profession, participe à l’établissement et au maintien de la relation de confiance entre elle-même et sa cliente.

[335]   Il en est de même en ce qui a trait à la communication entre l’intimée, la cliente et la plaignante, sa curatrice désignée.

[336]   Sur ce dernier point, plus spécifiquement, soulignons qu’il ressort de la preuve que les premiers contacts que l’intimée a avec la plaignante et la cliente sont importants pour l’établissement de la confiance avec cette dernière et la plaignante s’agissant du seul membre de sa famille avec lequel elle intervient.

[337]   Ils représentent une étape charnière dans la relation professionnelle en donnant l’opportunité à l’intimée de recueillir les données suffisantes pour porter un jugement éclairé sur la situation de la cliente et pour agir dans l’intérêt de cette dernière.

[338]   En l’espèce, rappelons que, lorsque l’intimée rencontre la cliente pour la première fois le 13 mai 2019, elle n’est pas seule.

[339]   L’éducateur spécialisé du CRDITED l’accompagne.

[340]   Rappelons aussi que l’intimée ne revoit pas la cliente entre le 13 mai et le 25 juin 2019, et qu’à cette dernière date, l’intimée est absente le jour de la rencontre décisive qui a lieu dans l’établissement du CRDITED avec quatre intervenants du CRDITED.

[341]   L’intimée est donc privée d’être témoin du déroulement de cette rencontre qui permet à l’équipe du CRDITED d’être fixée sur le sort à donner à la ressource Dorvilier et sur les prochaines actions à poser auprès de la cliente.

[342]   Quant à la plaignante, l’intimée l’appelle le 11 avril 2019 et la voit en personne les 13 et 30 mai ainsi que le 25 juin 2019.

[343]   Cependant, comme déjà mentionné au chef 1, le 13 mai 2019, elle tient la rencontre conjointement avec l’éducateur spécialisé du CRDITED et le 25 juin 2019, elle compose l’équipe multidisciplinaire constituée principalement d’intervenants du CRDITED.

[344]   Le fait que l’intimée soit presque toujours en présence d’intervenants du CRDITED lorsqu’elle entre en relation avec la cliente et la plaignante risque non seulement de créer de la confusion sur le rôle qu’elle est appelée à jouer auprès de la cliente et des membres de l’équipe du CRDITED, mais cela risque aussi de nuire à son indépendance et ce faisant, à l’établissement et au maintien d’une relation de confiance entre elle-même et sa cliente.

[345]   Concernant la relation de confiance, il est difficile d’ignorer l’inférence logique que la cliente et la plaignante peuvent tirer de cette conduite de l’intimée, soit qu’elle fait alliance avec les intervenants du CRDITED et que ses actions visent l’atteinte des objectifs que ces derniers ont fixés.

[346]   Bref, une telle conduite de la part de l’intimée sème le doute sur son autonomie professionnelle et le caractère objectif des services qu’elle est en mesure de rendre à la cliente.

[347]   Cela est d’autant plus vrai dans le contexte où la preuve démontre que l’éducateur spécialisé du CRDITED a recours à ses services professionnels à la suite des refus opposés par la plaignante concernant deux propositions de ressources d’hébergement pour la cliente.

[348]   De l’avis du Conseil, dès le début de la relation professionnelle, l’intimée se trouve dans une position délicate qui aurait nécessité de sa part, une clarification au niveau du rôle de chacun des intervenants (ceux du CSLC et ceux du CRDITED) considérant le mandat déjà en cours d’exécution.

[349]   C’est d’ailleurs ce que l’autre travailleuse sociale qu’elle remplace fait d’emblée, le 4 février 2019, lorsque l’éducateur spécialisé du CRDITED et la psychoéducatrice de l’époque lui annoncent que la demande de priorisation pour l’hébergement de la cliente a été acceptée par le CRDITED.

[350]   Ajoutons que lorsque l’intimée rencontre la cliente et la plaignante, les discussions sont essentiellement orientées sur la recherche urgente d’une ressource d’hébergement pour la cliente en exécution de la mission du CRDITED.

[351]   Dans ce contexte, il est raisonnable de s’interroger à savoir si l’intimée comprend que sa prestation de services consiste à offrir des services de soutien psychosocial et d’accompagnement pour la cliente et sa famille dans la recherche d’une ressource d’hébergement pour la cliente et non à soutenir l’équipe du CRDITED dans la recherche d’une telle ressource.

[352]   L’incertitude qui entoure le rôle de l’intimée représente un enjeu majeur au niveau de l’établissement et du maintien d’une relation de confiance entre elle-même et sa cliente puisqu’en aucun temps, elle ne procède à une évaluation de la situation et de l’aptitude de cette dernière à consentir au soin jugé urgent par l’équipe du CRDITED.

[353]   Le fait qu’elle ne participe pas à la visite de la ressource Dorvilier qui a lieu le 14 juin 2019, ainsi que l’absence de démonstration qu’elle a une connaissance suffisante des particularités de cette ressource et qu’elle communique avec le conseil de famille (composé notamment de la sœur et du frère de la cliente), constituent des comportements qui sont également problématiques au niveau du développement du sentiment de confiance chez la plaignante alors qu’il s’agit d’une proche parente et la curatrice désignée de la cliente.

[354]   L’approbation quasi aveugle de l’intimée aux avis et aux recommandations formulés par les intervenants du CRDITED, c’est-à-dire, sans qu’elle ne remette jamais en cause l’urgence à trouver un hébergement pour la cliente ou le caractère opportun des ressources offertes à cette dernière, n’aide en rien à l’établissement et au maintien d’une relation de confiance entre elle-même et sa cliente ainsi qu’avec sa famille.

[355]   Il en va de même pour l’idée négative qu’elle semble se faire de la plaignante qu’elle connaît à peine, soit seulement depuis le 11 avril 2019, de l’exercice de ses fonctions comme curatrice désignée à la cliente et de l’opposition qu’elle manifeste à l’égard des hébergements proposés par le CRDITED alors qu’elle ne les a pas elle-même visitées et qu’elle ne dit rien sur son niveau de connaissances des différentes ressources offertes à la cliente.

[356]   Bien que l’intimée plaide avoir tout fait pour assurer le respect des droits de la cliente et la sauvegarde de l’autonomie de cette dernière, le fait qu’elle tienne compte des volontés et des préférences de celle-ci sans avoir évalué sa situation et son aptitude à consentir au soin proposé ne lui permettait pas de porter un jugement éclairé sur la situation et donc, d’agir dans son intérêt.

[357]   Le Conseil réitère qu’il s’agit d’une condition fondamentale pour établir et maintenir une relation de confiance avec la cliente et une proche parente comme la plaignante.

[358]   De surcroît, l’absence de démarche entreprise par l’intimée pour tenter de communiquer avec les proches de la cliente, dont sa sœur et son frère, est difficilement explicable sachant qu’il forme le conseil de famille et qu’elle sait depuis le 28 mai 2019, que la cliente ira passer deux semaines chez son frère pendant l’été 2019.

[359]   Une telle pratique est défavorable à l’établissement et au maintien d’une relation de confiance avec la cliente et sa famille puisqu’elle est, de ce fait, privée d’informations importantes qui auraient pu lui permettre d’infirmer ou de confirmer sa perception de la situation.

[360]   En somme, la preuve permet de retenir que l’intimée ne pouvait avoir une connaissance complète et objective de la situation de la cliente et de son aptitude à consentir au soin projeté, de la nature, des problèmes et de l’urgence rapportée par les intervenants du CRDITED ainsi que des solutions possibles et de leurs implications.

[361]   Le Conseil est donc incapable de retenir qu’elle était en mesure d’agir dans l’intérêt de la cliente pendant la période visée au chef 2.

[362]   Ce faisant, on ne peut considérer qu’elle a pris les moyens pour inspirer la confiance de cette dernière et de la plaignante, sa curatrice désignée.

[363]   Bien que le Conseil soit conscient du court laps de temps offert à l’intimée pour établir et maintenir une relation de confiance entre elle-même et sa cliente, ce facteur et le fait qu’elle remplace l’autre travailleuse sociale ne permettent pas de justifier sa conduite fautive à l’égard des différents aspects importants examinés précédemment.

[364]   Pour tous ces motifs, l’intimée doit être déclarée coupable, sous le chef 2, de l’infraction fondée sur l’article 3. 01.04 du Code de déontologie.

[365]   Le respect des principes de l’arrêt Kienapple[16] commande de prononcer la suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 3.02.01 du Code de déontologie.

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT :

Sous le chef 1 :

[366]   DÉCLARE l’intimée coupable des infractions fondées sur les articles 3.01.04 et 3.02.01 du Code de déontologie des membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec.

[367]   PRONONCE la suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 3.01.04 du Code de déontologie des membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec.

Sous le chef 2 :

[368]   DÉCLARE l’intimée coupable des infractions fondées sur les articles 3.01.04 et 3.02.01 du Code de déontologie des membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec.

[369]   PRONONCE la suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 3.02.01 du Code de déontologie des membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec.

[370]   DEMANDE à la Secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec d’entreprendre les démarches afin de poursuivre l’instruction de la plainte sur sanctions.

 

________________________________

Me MYRIAM GIROUX-DEL ZOTTO

Présidente

 

 

________________________________

Mme CARMELA DE LISI, T.S.

Membre

 

 

________________________________

Mme CLAIRE SOUCY, T.S.

Membre

 

Mme M... J...

Plaignante (agissant personnellement)

 

Me Sophie Brochu

Avocate de l’intimée

 

Dates d’audience :

2, 3, 8 mai et 11 juillet 2024


 

Annexe

PLAINTE

[371]   La plainte privée visant l’intimée est ainsi libellée :

Me Gagliardi,

Par les présentes, et en vertu de l'article 128 alinéa 2 du Code des professions, je porte plainte devant le Conseil de discipline de l'Ordre des travailleurs sociaux du Québec à l'endroit de Daphnée Roy# permis d'exercice ROYD18/04/04OTS.

Je suis la [proche parente] et la curatrice de [la cliente] née le […]. J'ai 77 ans et suis infirmière retraitée. [La cliente] est la benjamine d’une fratrie de trois enfants. Elle a reçu des services du CRDITED Centre-sud-de-l'Île-de-Montréal pendant quelques années. Elle a un diagnostic de déficience intellectuelle depuis l'enfance et qui a été confirmé à trois autres reprises lors d'évaluation neuropsychologiques (rapports 1997, 2012 et 2019).

Je reproche à madame Daphnée Roy, travailleuse sociale, d'avoir contrevenu à son Code des professions, particulièrement aux alinéas suivants:

Le travailleur social fait tout en son pouvoir pour établir et maintenir une relation de confiance entre lui-même et son client. À cette fin, notamment, le travailleur social:

a)   s'abstient d'exercer sa profession d'une manière impersonnelle;

b)   respecte, dans toutes ses interventions, les valeurs et les convictions de son client.

R.R.Q., 1981, c. C-26, r. 180, a. 3.01.04

Le travailleur social s'acquitte de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité.

R.R.Q., 1981, c. C-26, r. 180, a. 3.02.01

Plainte #1

Événements du 25 juin 2019 au CRDITED Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal

- Vers 17h00

[La cliente] laisse un message* au répondeur de notre domicile pour m'aviser de son arrivée chez Marlène, responsable de la ressource. Elle vient d'y arriver par transport adapté pour son séjour de 48 heures. Il s'agit de mon répit mensuel comme parent s'occupant seule de [la cliente] en situation de déficience intellectuelle.

J'écoute son bouleversant message et je la rappelle aussitôt. Elle m'apprend alors qu'elle a passé toute la journée au CRDI. Elle est très fâchée contre moi car elle a vécu des événements dans sa journée auxquels, selon son récit, je ne l'avais pas préparée. Je tente en vain de la convaincre que moi-même n'était au courant de rien. Je tente de calmer sa colère d'avoir manqué les activités de fin d'année de son école. Je l'assure que je vais tout faire pour comprendre ce qui s'est réellement passé.

VF pièce #1 Enregistrement vocal sur clé USB à ouvrir avec VLC

*Note: Quelques jours plus tard j'ai transféré ce message sur mon cellulaire puis sur ordi

- Plus tôt dans la journée du même jour au CRDI rue St-Patrick à Montréal.

Une 1ère réunion a lieu entre des personnes du CRDI et du CLSC Verdun : Sont présents gestionnaires, coordo cliniques et psychoéducateur du CRDI. Daphnée Roy travailleuse sociale du CLSC Verdun et sa chef de programme madame Paul-Hus font aussi partie du groupe. Leur but : étant au fait de ma présence à 10h au CRDI avec Jessica Bérardino, ces personnes fomentent un plan pour prolonger cette rencontre, cette-fois les incluant ainsi que [la cliente].

Ce plan est détaillé dans les notes de Daphnée Roy TS. On y lit que tous, y compris la TS, conviennent d'aller chercher [la cliente] à son école ([école A] rue St Hubert) pour l'amener à cette réunion, et ce à mon insu.

Vf pièce #2

Pendant ce temps:

Dans le bureau de Jessica Berardino, gestionnaire, a lieu la rencontre déjà planifiée depuis quelques jours entre celle-ci, moi-même et la personne ressources du Comité des usagers du CIUSSS Isabelle Perrin. Avant de m'y rendre, je croyais que cette rencontre ne se déroulerait qu'en notre présence et celle de madame Berardino, comme discuté lors d'un précédent téléphone. Une autre gestionnaire, France Leclerc, y est pourtant déjà présente.

Après quelques échanges, à ma grande surprise et celle de madame Perrin, nous sommes conviées par Jessica Bérardino à nous rendre à la salle de conférence.

La 2ème réunion vers 11h dans la salle de conférence:

En s'y présentant, madame Perrin et moi constatons que plusieurs autres personnes sont déjà installées dont Myriam Joyal gestionnaire, Amélie Paul-Hus chef de programme au CLSC Verdun et Daphnée Roy travailleuse sociale du même CLSC. J'ai l'impression d'être tombée dans un traquenard. Isabelle Perrin et moi sommes interloquées et comprenons que toutes ces personnes étaient en attente de nous rencontrer pendant que nous discutions avec madame Bérardino et sa collègue.

On m'apprend que [la cliente] est dans la pièce d'à côté et qu'on ira la chercher pour la joindre au groupe. Je m'oppose fermement à cette idée car tout a été préparé à mon insu et celui de [la cliente], et que je ne connais aucunement le déroulement du plan prévu par ces personnes. Daphnée Roy est assise en face de moi, impassible. Elle ne fera aucune intervention verbale pendant cette rencontre. Quelques mois plus tard, consultant ses notes au dossier relatant leur première rencontre de la matinée, je constate qu'elle s'était ralliée à la décision du groupe d'aller chercher [la cliente] à son école pour l'amener à mon insu dans un local du CRDI rue St-Patrick.

Pendant cette réunion dans la salle de conférence, je persiste à expliquer que le niveau d'encadrement dans l'hébergement visité 4 jours plus tôt ne convient pas à la situation de [la cliente]. En aucun moment je nomme "hébergement thérapeutique". L'expression vient de Myriam Joyal qui a proposé cette "solution" que ni Isabelle Perrin, personne-ressource des usagers au CRDI, ni moi-même ne connaissions. Dans ses notes, la TS mentionne erronnément que c'est l'un de mes critères pour un hébergement idéal...

Madame Perrin et moi quittons l'endroit plus d'une heure plus tard après qu'une gestionnaire du groupe m'ait assurée "que [la cliente] serait ramenée à la maison peu après". J'ai vu Daphnée Roy quitter les lieux sans m'adresser le moindre regard.

Vf pièce #3

Après mon départ du CRDI:

[La cliente] n'est pas revenue à la maison. Vers 14h, j'ai contacté l'école A et laissé un message au répondeur de la réception. On ne m'a pas rappelée.

Aucune personne du CRDI présente à la rencontre de 11h ne m'a contactée pour m'aviser d'un changement du plan (ramener [la cliente] à la maison). J'ai été inquiète pendant toutes ces heures jusqu'à ce que j'écoute le message de [la cliente] qu'elle a enregistré sur le répondeur de la maison lorsqu'elle est arrivée à la ressource.

Vf Pièce 1: enregistrement vocal sur clé USB.

Une 3ème rencontre au CRDI avec gestionnaires, psychoéducateur ... et [la cliente]:

Daphnée Roy relate le déroulement de cette réunion de l'après-midi à laquelle elle ne semble pas avoir participé...Selon les notes de la travailleuse sociale, l'objectif des participants est de valider le consentement de [la cliente] à l'hébergement et sa compréhension de la situation. Pendant ces heures en après-midi, [la cliente] est confrontée à quatre personnes dont deux qu'elle n'a jamais vues.

Vf pièce #4

4ème rencontre ce même jour :

Dans ses notes, Daphnée Roy relate cet appel conférence avec Jessica Berardino et Dominique Harvey. Je ne connais pas cette dernière, ni [la cliente]. La travailleuse sociale leur mentionne qu'une rencontre est prévue avec moi le lendemain 26 juin dans son bureau au CLSC, et ce en sa compagnie et celle de Myriam Joyal.

Ce n'est pourtant qu'en matinée du 26 juin que Daphnée Roy me contactera par téléphone pour me convoquer à 15h au CLSC. J'en déduis que c'est pour discuter de l'hébergement thérapeutique ... Elle omet de me dire que madame Joyal y sera également présente.

Vf pièce #5

Arrivée de [la cliente] à la ressource en fin pm le 25 juin:

Ce n'est que vers 17 h que j'apprendrai, lorsque je rejoins finalement [la cliente] au téléphone de la ressource, que celle-ci a passé l'après-midi dans le local du CRDI.

Vf Début du texte Plainte #1: Événements ... vers 17h ...

En pleurs, elle m'informe qu'elle a passé beaucoup de temps dans le local, qu'elle était entourée et questionnée par plusieurs personnes et qu'elle est très fatiguée.

Elle m'apprend que c'est son éducateur qui l'a ramenée du CRDI à l'école, juste à temps pour le transport adapté de 15h30 vers la ressource.

Dans ses notes, l'éducateur relève ... une amplification de l'anxiété et de la colère de l’usagère pendant ce trajet de retour du CRDI vers l'école.

Vf pièce #6 Notes CRDI Christian Roy 25 juin 2019 14h15 à 15h15

- Le 27 juin 2019 vers 16h:

[La cliente] revient à la maison avec sa petite valise. Elle a passé les journées du 26 et 27 juin à l'école et dormi les deux nuits à la Ressource. Elle est triste et s'isole dans sa chambre. Elle me rejoint à la cuisine vers 18h. Elle demeure fâchée contre moi car encore sous l'impression que je lui ai menti en lui cachant, lorsqu'elle a quitté la maison deux jours plus tôt, qu'on irait la chercher à l'école ce matin­ là. Retrait qui lui a fait manquer des activités de fin d'année avec ses amis. Et fait subir un enfermement dans une pièce du CRDI sans qu'elle comprenne pourquoi. Face à son désarroi, je me sens impuissante à lui expliquer ce qui s'est passé.

Au moment de se coucher, elle se présente dans ma chambre avec tous les documents et outils de travail que son éducateur Christian lui a remis au cours des 18 mois de visites à domicile. Elle dépose le tout au pied de mon lit et affirme qu'elle ne veut plus revoir aucune de ces personnes et manifeste un grand ressentiment envers eux.

Plainte #2:

Daphnée Roy, notre travailleuse sociale à [la cliente] et moi, a été partie prenante avec l'équipe du CRDI pour retirer, à mon insu, [la cliente] de l'école le 25 juin 2019. Elle ne s'est aucunement préoccupée d'offrir une explication à [la cliente] pour justifier une telle action. Conséquemment, [la cliente] s'est retrouvée dans un local du CRDI confinée à une longue attente avec le psychoéducateur et sans savoir pourquoi. Et à y être encore retenue en après-midi avec d'autres personnes dont deux inconnues.

Vf 3ème rencontre Pièce #4

La travailleuse sociale n'est pas intervenue après la réunion dans la salle de conférence pour s'assurer de la condition de [la cliente]. Elle s'est plutôt éclipsée rapidement en nous ignorant [la cliente] et moi et sans se préoccuper de la suite.

Elle n'a pas contacté [la cliente] après qu'elle soit arrivée à la ressource de répit afin de s'informer de son état physique et psychologique. Elle ne m'a pas contactée non plus pour un suivi de la situation.

Pendant l'appel conférence qu'elle a eu en après-midi avec Jessica Berardino et Dominique Harvey, sa seule préoccupation a été de planifier une rencontre avec moi le lendemain 26 juin. Mais ce n'est que quelques heures avant cette rencontre qu'elle me contacte pour m'aviser de m'y présenter. Je suis très surprise d'y retrouver aussi madame Joyal du CRDI.

Vf 4ème rencontre pièce #5

Avant cette journée du 25 juin 2019

La confiance entre la travailleuse sociale et moi n'a pu s'installer et se développer. Après son entrée en fonction au CLSC en avril 2019 et avant les événements du 25 juin 2019, Daphnée Roy s'était contenté de courts échanges téléphoniques entre nous le 11 avril et le 22 mai 2019, d'une rencontre au domicile conjointement avec l'éducateur de [la cliente] et la présence de celle-ci le 13 mai. La rencontre à son bureau le 30 mai a porté essentiellement sur des ressources de répit en été, ainsi que sur une liste d'activités devant me faire socialiser (?).

Vf Notes 30 mai Pièce 8

Aucun autre contact jusqu'au 19 juin lorsque je lui laisse un message. Concernant cet appel téléphonique, elle note son objectif de me remettre des coordonnés de répit pour l'été. Mais la conversation s'est porté rapidement sur la visite de l'hébergement 4 jours plus tôt et sans sa présence. Daphnée Roy résume mon insatisfaction à l'endroit de cette ressource aux "dents cariées" d'une usagère, et ne considère aucune autre raison exprimée pour refuser cette ressource. Elle écrit que j'ai aimé le ratio (1/7) ... alors que je n'ai jamais mentionné un tel propos. Elle termine ses notes ainsi: confirmons à Mme [M…L…] notre présence à la rencontre du 25 juin au CRDI. Si tel avait été le cas, je n'aurais pas été à ce point stupéfaite de l'y trouver.

Vf Notes 19 juin Pièce 9

D'autres notes du 19 juin décrivent un appel conférence avec l'équipe du CRDI. Elle fait un récit de la visite de la ressource le 14 juin à laquelle elle n'a pas participé, mais en rapportant les observations subjectives du psychoéducateur Lecouffe présent à cette visite. Elle émet des critiques concernant mon évaluation: ...celle-ci (la visite) s'est mal déroulée... Elle (moi) a exprimé que la ressource était inadéquate pour des raisons peu valables selon le CRDI. Il est aussi question, lors de cet appel conférence, de procédures légales pour amener la cause au Tribunal si je persiste à refuser l'offre d'hébergement. Cependant, je ne prendrai connaissance de ces menaces qu'une semaine plus tard, de la bouche de Myriam Joyal du CRDI, lors de la rencontre au bureau de la TS le 26 juin.

Vf Notes 19 juin Pièce 10

C'est en effet ce jour-là, au CLSC et en présence de la gestionnaire Joyal, que Daphnée Roy tente de me convaincre que le consentement de [la cliente] est suffisant au niveau légal. Elle soutient avoir validé la volonté de [la cliente] à accepter l'offre d'hébergement avec messieurs Lecouffe** et Roy du CRDI. Elle élude mes arguments et à l'une de mes questions concernant ses connaissance des limites de [la cliente], elle répond qu'elle n'a pas encore lu le rapport de la neuropsychologue Anne-Laure Macé Ph.D (2011 et non 2015). Elle prend note qu'elle va le retrouver, ainsi que celui de la TS de l'époque Sylvie Lacharité, deux rapports rédigés lors de la demande de Curatelle en 2014. Elle termine en écrivant ... que je ne comprends pas bien les limites et mon rôle de curatrice.

Vf Notes 26 juin Pièce #7

** Philippe Lecouffe n'avait rencontré [la cliente] qu'une seule fois à la mi-mai 2019 et en présence de l'éducateur, avant la visite de l'hébergement le 14 juin 2019.

Pendant cette rencontre du 26 juin au CLSC, lendemain des événements relatés plus haut, Myriam Joyal du CRDI fait fermement valoir que si je continue à m'objecter à l'hébergement proposé, des recours légaux seront mis en branle dont porter la cause devant un juge. Daphnée Roy ne manifeste aucune opposition. Elle ne relate aucune de ces menaces proférées à mon endroit dans ses notes. Lorsque je suis sortie de cette rencontre au CLSC, j'avais des tremblements dans tout le corps.

Vf Notes 26 juin 2019 Pièce #9

- La suite

Après cette rétention dans un local pendant la journée du 25 juin 2019, [la cliente] est demeurée très anxieuse face aux personnes du CLSC et du CRDI. Toute allusion à l'une d'elles, que ce soit par un membre de la famille ou lors d'activités sociales, provoquait chez elle une forte réaction émotive. Elle a aussi fermement refusé de parler au téléphone avec Daphnée Roy à deux reprises en juillet 2019.

J'ai finalement choisi l'option de lui faire rencontrer une psychologue en clinique privée *** à partir de la mi-août 2019. Les séances se sont poursuivies jusqu'en mars 2020, puis en visioconférence pendant la pandémie pour six autres mois.

*** Clinique Spectrum 4077, boul Décarie, Montréal Intervenante : […] psychologue

[La cliente] et moi avons vécu une cohabitation 24/24 heures plutôt harmonieuse après le début de la pandémie à la mi-mars 2020 jusqu'en août 2020. Pendant ces 17 7 mois, nous avons été soutenues par des contacts téléphoniques hebdomadaires et quelques rencontres avec Amélie Guindon de l'Association de Montréal pour la déficience intellectuelle (AMDI).

Lorsque, avec ma fille aînée […], il fut décidé à la fin de l'été 2020 que [la cliente] irait vivre chez-elle à Ville A, il fut difficile de convaincre [La cliente] de venir au CLSC St-Henri rencontrer une nouvelle travailleuse sociale. Car celle-ci devait connaître [la cliente] pour préparer le transfert au futur CLSC. J'ai énormément apprécié la sensibilité et les compétences de madame Célyne Bureau qui a été notre travailleuse sociale lors de cette étape.

La conduite professionnelle de Daphnée Roy en 2019 a créé des préjudices qui ont perduré de longs mois chez [la cliente]. Alors qu'elle était insuffisamment documentée sur le cheminement de [la cliente] qui, entre autre, n'a jamais fréquenté l'école régulière, et sur [sa] situation familiale dont l'implication marquée de sa sœur et de son frère dans le Conseil de famille, cette travailleuse sociale a accordé un appui inconsidéré aux actions de l'équipe CRDITED du CIUSSS Centre-Sud-de-l'Île-de­ Montréal aux dépens des fragilités neuropsychologiques et émotionnelles de [La cliente].

Mon seul souhait est qu'avec cette enquête, et les mesures correctrices qui s'ensuivront, aucune autre [proche parente], aucun autre parent ne vive pareil cauchemar.

Veuillez accepter mes remerciements,

[Transcription textuelle, sauf anonymisation]

 



[1]    Chapitre C-26, r. 286.

[2]    Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441.

[3]    Mailloux c. Fortin, 2016 QCCA 62, paragr. 72 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 23 juin 2016, n° 36951).

[4]    Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 26 janvier 2017, n° 37197).

[5]    Brazeau c. Faribeault, 1999 QCTP 93.

[6]    www.larousse.fr.

[7]    Id.

[8]    Chapitre CCQ-1991.

[9]    B. (M.) c. Centre hospitalier Pierre-Le Gardeur2004 CanLII 29017 (QC CA), [2004] R.J.Q. 792, [2004] R.D.F. 224 (C.A.) (autorisation de pourvoi refusé par la Cour suprême le 7 octobre 2004).

[10]    Institut Philippe Pinel de Montréal c. A.G., 1994 CanLII 6105 (QC CA).

[11]    M.C. c. Service professionnel du Centre de santé et de services sociaux d’Arthabaska-et-de-l’Érable, 2010 QCCA 1114.

[12]    Voir les principes de droit applicables exposés aux paragraphes 153 à 160 de la présente décision.

[13]    Cuggia c. Champagne, 2016 QCCA 1479, paragr. 20.

[15]    Kienapple c. R., 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 729.

[16]    Kienapple c. R., supra, note 15.